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ment pour l’activité de son esprit. La femme n’était pas sans doute exclue de la philosophie, aucun sage n’avait prétendu que cette étude lui fût interdite. Sénèque pensait au contraire que les imperfections mêmes de sa nature lui faisaient un devoir de s’y livrer : plus elle est emportée par tempérament, pleine de désirs déréglés et de passions violentes, plus elle doit demander à la raison un frein pour se contenir. Plutarque aussi prétendait qu’il est bon qu’elle lise Platon et Xénophon. Il voulait que son mari fût son maître. « Il faut, disait-il, qu’il orne lui-même son esprit de philosophie, et que, semblable à l’abeille, il rapporte chez lui ce qu’il aura recueilli de meilleur[1]. » Il ne manquait pas à Rome, au commencement de l’empire et auparavant, de femmes qui n’étaient pas étrangères aux études philosophiques. L’amie de Cicéron, Cœrellia, voulait être la première à lire son traité du Souverain bien. Quand Livie eut perdu son fils Drusus, elle appela pour la consoler le sage Areus, qui était, dit Sénèque, le philosophe de son mari. Ce fut même comme une mode à cette époque, chez les femmes du monde qui vivaient assez légèrement, de paraître avoir du goût pour ces graves études. Horace rapporte qu’on voyait souvent chez elles les livres des stoïciens sur des coussins de soie. C’est dans les mêmes mains sans doute qu’Épictète trouvait plus tard les traités de Platon, surtout sa République, où il se prononce pour l’abolition du mariage et la communauté des femmes ; mais ce n’étaient en somme que des exceptions. La philosophie n’exerça guère une influence sérieuse que sur quelques femmes d’élite ; les autres l’ignoraient ou en faisaient peu d’usage. La religion leur tenait lieu de tout ; rien ne les en détachait, et c’est de ce côté que l’ardeur de leur esprit se tournait sans partage. Les Romains n’auraient guère compris une femme qui fût esprit fort et incrédule ; même quand ils ne croyaient pas beaucoup aux dieux pour leur compte, ils n’étaient pas fâchés qu’on y crût chez eux. Cicéron, qui se moquait si gaîment de toutes les fables de la mythologie, trouvait tout naturel que sa femme fût dévote, et ne faisait rien pour la gagner à ses opinions. Les prières, les sacrifices, la célébration des anciens rites, convenaient à une matrone qui se respectait. Il fallait qu’elle fréquentât les temples et qu’elle accomplît rigoureusement tous ses devoirs religieux. Nous venons de voir que Plaute a semblé tracer dans son Amphitryon le portrait idéal d’une Romaine. Parmi les qualités qu’il lui attribue, à côté de la réserve, de la gravité, du

  1. M. Havet, dans son ouvrage sur le Christianisme et ses origines, cite un discours du philosophe Musonius Rufus, dans lequel il établissait que les femmes ont droit à la vérité, puisqu’elles ont droit à la vertu.