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vivre dans la misère : la pauvreté devient plus lourde à porter, si l’on y joint l’infamie. » Quand Alcmène se voit outragée par Amphitryon, elle n’essaie pas de le toucher par ses pleurs, elle veut le convaincre par ses raisonnemens. Elle se garde bien de supplier, elle en appelle à sa conscience et à Junon, « la mère de famille, » elle lui offre de prouver sa vertu par témoins ; mais aussitôt qu’elle s’aperçoit qu’elle ne parvient pas à le détromper, elle prend sa résolution sans faiblesse et demande le divorce. « Reprends ton bien, lui dit-elle, et rends-moi ce qui m’appartient. » Elle ne veut, pas rester un moment de plus avec lui ; elle le prie de lui donner des gens pour l’accompagner chez elle, et, comme il paraît hésiter à le faire, elle se décide à s’en aller « escortée de sa seule pudeur. » Telle était évidemment l’idée qu’on se faisait alors des femmes ; et les qualités que Plaute leur accorde étaient celles qu’on tenait le plus à retrouver dans une matrone accomplie.

L’éducation qu’on leur donnait était tout à fait propre à les développer chez elles. Dans les maisons riches, les jeunes filles étaient élevées, comme leurs frères, par des esclaves lettrés ; elles recevaient les mêmes leçons, on les faisait étudier dans les mêmes livres, elles écoutaient le grammairien, lire et commenter les grands poètes de la Grèce et de Rome, et prenaient dès leur jeunesse, pour Ménandre, pour Térence ; un goût qu’elles gardaient d’ordinaire pendant, toute leur vie. Les plébéiennes étaient envoyées aux écoles publiques, sur le Forum, auprès des Boutiques vieilles. Ces écoles étaient fréquentées aussi par les garçons, et, comme il arrive encore en Amérique, on y élevait les deux sexes ensemble. Il résultait souvent de cette éducation commune qu’ils avaient non seulement les mêmes connaissances, mais des qualités semblables.

On n’enseignait pas plus aux filles qu’aux garçons les arts qui ne semblaient pas compatibles avec la gravité des mœurs romaines. On répugnait par exemple à leur apprendre la danse : « Il n’y a presque personne, disait Cicéron, qui se permette de danser tant qu’il est à jeun. » On redoutait aussi pour elles la musique et le chant. Sans doute, dans quelques circonstances graves ; après de grands malheurs ou des victoires inespérées, on avait vu des jeunes filles, au milieu de cérémonies publiques, chanter des hymnes aux dieux pour désarmer leur colère ou les remercier de leurs bienfaits ; mais ces occasions étaient rares. D’ordinaire le chant n’était guère mieux vu que la danse, et Scipion Émilien, un ami de la Grèce pourtant, les condamnait sévèrement l’un et l’autre lorsque, pendant sa censure, il fit fermer les écoles qui s’étaient furtivement ouvertes à Rome pour les enseigner. « On corrompt notre jeunesse, disait-il au peuple, en lui faisant connaître des arts malhonnêtes. On lui ap-