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Pâques. Vous ne me dites rien de votre santé, de votre teint. Votre santé paraît bonne ; je crains que, pour le reste, il n’y ait de la brunissure.

Adieu, chère amie. Je vous remercie bien de la gebira. Revenez bien portante ; grasse ou maigre, je vous promets de vous reconnaître. — Je vous embrasse bien tendrement.


Biarritz, villa Eugénie, 27 septembre 1862.

Chère amie, je vous écris toujours à***, bien que je ne sache rien de vos mouvemens; mais il me semble que vous ne devez pas encore retourner à Paris. Si, comme je l’espère, vous avez un temps pareil au nôtre, vous devez en profiter et n’être pas trop pressée d’aller trouver à Paris les odeurs de l’asphalte. Je suis ici au bord de la mer et respirant mieux qu’il ne m’est arrivé depuis longtemps. Les eaux de Bagnères ont commencé par me faire grand mal. On me disait que c’était tant mieux, et que cela prouvait leur action. Le fait est qu’aussitôt que j’ai quitté Bagnères, je me suis senti renaître; l’air de la mer, et aussi peut-être la cuisine auguste que je mange ici, ont achevé de me guérir. Il faut vous dire qu’il n’y a rien de plus abominable que la cuisine de l’hôtel de *** à Bagnères, et je crois en vérité qu’on y a pratiqué contre Panizzi et moi un empoisonnement lent. Il y a peu de monde à la villa, et seulement des gens aimables que je connais depuis longtemps. Dans la ville, il n’y a pas grand monde, peu de Français surtout; les Espagnols dominent et les Américains. Les jeudis, on reçoit, et il faut mettre les Américains du nord d’un côté et les Américains du sud de l’autre, de peur qu’ils ne s’entre-mangent. Ce jour-là, on s’habille. Le reste du temps, on ne fait pas la moindre toilette; les dames dînent en robe montante, et nous du vilain sexe en redingote. Il n’y a pas de château en France ni en Angleterre où l’on soit si libre et si sans étiquette, ni de châtelaine si gracieuse et si bonne pour ses hôtes. Nous faisons de très belles promenades dans les vallées qui longent les Pyrénées et nous en revenons avec des appétits prodigieux. la mer, qui est ordinairement très mauvaise ici, est depuis une semaine d’un calme surprenant; mais ce n’est rien pourtant en comparaison de la Méditerranée et surtout de cette mer de Cannes. Les baigneuses sont toujours aussi étranges en matière de costume. Il y a une Mme ***, qui est de la couleur d’un navet, qui s’habille en bleu et se poudre les cheveux. On prétend que c’est de la cendre qu’elle se met sur la tête à cause des malheurs de sa patrie. Malgré les promenades et la cuisine, je travaille un peu. J’ai écrit, tant à Biarritz que dans les Pyrénées, plus de la moitié d’un volume. C’est encore l’histoire d’un héros cosaque que je destine au Journal des Savans. A propos de littérature, avez-vous lu le speech de Victor