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n’était pas chez elle, ni Thiers non plus. Personne n’a entendu d’explosion; pourtant la balle était de calibre de guerre, et les fusils à vent sont tous d’un calibre beaucoup plus faible. Pour moi, je pense que c’est une tentative républicaine d’intimidation, bête comme tout ce qui se fait aujourd’hui. Voilà les seules balles à craindre à mon avis. Le général Cavaignac a dit : « On me tuera, Lamoricière me succédera, ensuite Bedeau; puis viendra le duc d’Isly, qui balaiera tout. » Ne trouvez-vous pas quelque chose de prophétique là dedans? On ne croit guère à une intervention en Italie. La république sera un peu plus poltronne que la monarchie. Seulement il se peut qu’on fasse la frime de laisser soupçonner qu’on serait tenté d’intervenir, dans l’espoir qu’on obtiendra des atermoiemens, un congrès et des protocoles. Un de mes amis qui revient d’Italie a été pillé par des volontaires romains qui trouvent les voyageurs de meilleure composition que les Croates. Il prétend qu’il est impossible de faire battre les Italiens, excepté les Piémontais, qui ne peuvent être partout.

Je vous envoie toute cette politique, et j’espère qu’elle ne changera rien à vos projets. On fait de grands préparatifs à la marine pour transporter six cents de ces messieurs pris en juin : ce sera le premier convoi. Je ne serais pas éloigné de croire qu’il y eût, le jour du transport, quelques milliers de veuves éplorées à la porte de l’assemblée; mais de nouveaux insurgés, n’y croyez point...


Paris, 12 août 1848.

Le beau temps s’en va, et nous allons entrer, d’ici à quelques jours, dans la saison froide, qui m’est si antipathique. Je ne puis vous dire combien je suis en colère contre vous. En outre les abricots et les prunes sont presque passés, et je me faisais une fête d’en manger avec vous. Je suis parfaitement sûr que, si vous aviez réellement voulu revenir, vous seriez déjà à Paris. Je m’ennuie horriblement et j’ai bien envie de m’en aller quelque part sans vous attendre. Tout ce que je puis faire, c’est de vous donner jusqu’au 25 à trois heures, et pas une heure de plus. — Nous sommes fort tranquilles. On parle toujours, il est vrai, d’une émeute que M. Ledru ferait par manière de protestation contre l’enquête ; mais ce ne peut être quelque chose de sérieux. La première condition pour qu’on se batte, c’est qu’il y ait de la poudre et des fusils des deux côtés; or maintenant tout est du même côté. Avant-hier, au concours général, un gamin nommé Leroy a eu un prix. Les autres gamins ont crié : « Vive le roi! » Le général Cavaignac, qui assistait, je ne sais pourquoi, à la cérémonie, a ri de fort bonne grâce. Mais, le même gamin ayant eu un autre prix, les cris sont devenus si forts qu’il en a perdu toute contenance et tortillait sa barbe comme s’il eût