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Vendredi prochain, votre dessin partira par un courrier et se trouvera sans doute dimanche à Londres. Vous pourrez l’envoyer réclamer mardi chez M. V…, Pall-Mall.

Excusez la démence de cette lettre, j’ai de tristes affaires en tête.

Paris, 27 août 1842.

Je trouve, en arrivant ici, une lettre de vous moins féroce que les précédentes. Vous eussiez bien fait de me l’envoyer là-bas. Cette rareté ne se pouvait posséder trop tôt. Je me hâte de vous féliciter de vos études grégeoises, et, pour commencer par quelque chose qui vous intéresse, je vous dirai comment on appelle en grec les personnes qui ont comme vous des cheveux dont elles ressentent une juste fierté : c’est efplokamos. Ef, bien, plokamos, boucle de cheveux. Les deux mots réunis forment un adjectif. Homère a dit quelque part :

Νύμφη εὐπλόϰαμος Καλυψώ.
Nimfi efplokamos Calypso.
Nymphe bien frisante Calypso.

N’est-ce pas fort joli ? Ah ! pour l’amour du grec, etc.

Je suis bien fâché que vous partiez si tard pour l’Italie. Vous risquez de tout voir à travers des pluies atroces, qui ôtent la moitié de leur mérite aux plus belles montagnes du monde, et vous serez obligée de me croire sur parole quand je vous vanterai le beau ciel de Naples. Vous ne mangerez plus de bons fruits, mais vous aurez des becfigues, ainsi nommés parce qu’ils se nourrissent de raisins.

Je n’admets point votre version de la parabole.

Il m’est arrivé à mon retour une aventure qui m’a quelque peu mortifié en me faisant connaître de quelle espèce de réputation je jouis de par le monde. Voici. Je faisais mon paquet à Avignon et me préparais à partir pour Paris par la malle-poste, lorsque deux figures vénérables entrèrent, qui s’annoncèrent comme membres du conseil municipal. Je croyais qu’ils allaient me parler de quelque église, lorsqu’ils me dirent pompeusement et prolixement qu’ils venaient recommander à ma loyauté et à ma vertu une dame qui allait voyager avec moi. Je leur répondis de très mauvaise humeur que je serais très loyal et très vertueux, mais que j’étais fort mécontent de voyager avec une femme, attendu que je ne pourrais pas fumer le long de la route. La malle-poste arrivée, je trouvai dedans une femme grande et jolie, simplement et coquettement mise, qui s’annonça comme malade en voiture et désespérant d’arriver vivante à Paris. Notre tête-à-tête commença. Je fus aussi poli et aimable qu’il m’est possible de l’être quand je suis obligé de rester dans la même position. Ma compagne parlait bien, sans accent marseillais, était très bonapartiste, très enthousiaste, croyait à l’im-