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Savez-vous que vous êtes quelquefois bien aimable? Je ne dis pas cela pour vous faire un reproche sous un froid compliment; mais je voudrais bien recevoir souvent de vous des lettres comme la dernière. Malheureusement vous n’êtes pas toujours pour moi dans d’aussi charitables dispositions. Je ne vous ai pas répondu plus tôt parce que votre lettre ne m’a été remise qu’hier soir, à mon retour d’une petite excursion que j’ai faite. J’ai passé quatre jours dans une solitude absolue et ne voyant pas un homme, encore moins une femme, car je n’appelle pas hommes ou femmes certains bipèdes qui sont dressés à apporter à manger et à boire quand on leur en donne l’ordre. J’ai fait pendant cette retraite les réflexions les plus tristes du monde sur moi, sur mon avenir, sur mes amis, etc. Si j’avais eu l’esprit d’attendre votre lettre, elle aurait donné une tout autre tournure à mes idées. « J’aurais emporté du bonheur pour une semaine au moins. » J’admire beaucoup votre descente chez ce brave M. V... Votre courage me plaît singulièrement. Je ne vous aurais jamais crue capable d’un tel capricho¸ et je vous en aime encore davantage. Il est vrai que le souvenir de vos splendid black eyes est peut-être pour quelque chose dans mon admiration. Pourtant, vieux comme je suis, je suis presque insensible à la beauté. Je me dis que « cela ne gâte rien; » mais je vous assure qu’en entendant dire par un homme très difficile que vous étiez fort jolie, je n’ai pu me défendre d’un sentiment de tristesse. Voici pourquoi (d’abord persuadez-vous bien que je ne suis pas le moins du monde amoureux de vous) : je suis horriblement jaloux, jaloux de mes amis, et je m’afflige en pensant que votre beauté vous expose aux soins et aux attentions d’un tas de gens qui ne peuvent vous apprécier et qui ne voient en vous que ce qui m’occupe le moins. En vérité, je suis d’une humeur affreuse en pensant à cette cérémonie où vous allez assister. Rien ne me rend plus mélancolique qu’un mariage. Les Turcs, qui marchandent une femme en l’examinant comme un mouton gras, valent bien mieux que nous qui avons mis sur ce vil marché un vernis d’hypocrisie, hélas ! bien transparent. Je me suis demandé bien souvent ce que je pourrais dire à une femme le premier jour de ma noce, et je n’ai rien trouvé de possible, si ce n’est un compliment sur son bonnet de nuit. Le diable heureusement est bien fin s’il m’attrape à pareille fête. Le rôle de la femme est bien plus facile que celui de l’homme. Un jour comme celui-là, elle se modèle sur l’Iphigénie de Racine; mais, si elle observe un peu, que de drôles de choses elle doit voir ! — Vous me direz si la fête a été belle. On va vous faire la cour et vous régaler d’allusions au