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LETTRES
À UNE INCONNUE

Les pages qu’on va lire sont détachées d’un recueil de lettres intimes qui ne tardera pas à paraître[1] et auquel on peut promettre un vif succès de curiosité. Les premières, qui ne portent point de date, sont de l’année 1841, et remontent peut-être un peu plus haut ; la dernière a été écrite à Cannes le 23 septembre 1870. Deux heures après, Mérimée avait cessé de vivre. Ce recueil embrasse donc un espace de vingt-neuf ans, c’est-à-dire toute une moitié, la plus longue moitié de la carrière de l’éminent écrivain.

On comprendra sans peine, dès le premier tiers du premier volume, pourquoi la personne à qui ces lettres sont adressées a voulu rester dans une ombre discrète. Les Lettres à une inconnue renferment à la fois un roman et un journal biographique. Le roman est souvent très hardi, et, bien que l’inconnue, en jouant avec la flamme, déploie dans ce jeu une singulière adresse, bien qu’elle réussisse, par un art que Mérimée trouve diabolique et angélique tout ensemble, à transformer en amitié solide la passion qu’elle inspire, l’aventure offre trop de détails téméraires pour que les convenances permissent à l’héroïne de la faire connaître sans ombres et sans voiles. D’un autre côté, fallait-il dérober à la postérité une collection de lettres où le caractère d’un écrivain tel que Mérimée se montre si complètement, si ingénument, où nous voyons l’homme tout entier, ironique et affectueux, sceptique et passionné, spirituel sans le moindre effort, toujours étincelant, quoique toujours simple, et plus sympathique parfois qu’on ne le croyait, en dépit des plus audacieuses doctrines ? Évidemment non. Si les convenances person-

  1. Lettres à une inconnue, par Prosper Mérimée, de l’Académie française, en 2 volumes, chez Michel Lévy.