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peser les mérites de la royauté, de la république et de l’empire ! Si ce n’est pas la destinée du pays jouée sur un coup de dé, qu’est-ce donc ? Les bonapartistes ont pu proposer l’appel au peuple, parce qu’ils comptent encore sur les souvenirs de bien-être matériel que l’empire a laissés parmi les masses ; la gauche a pu s’y rallier un instant parce qu’elle y a vu une arme de guerre contre le gouvernement ; l’appel au peuple ne reste pas moins ce qu’on pourrait qualifier de hors-d’œuvre dans les circonstances actuelles ; c’est une diversion et non une solution. La solution, elle n’est certainement ni dans cette évocation mystérieuse du pouvoir des masses, ni dans la proclamation solennelle et théorique de la république définitive ; elle est tout simplement dans les faits, dans les élémens pratiques de la situation, dans les opinions modérées qui se sont produites, qui peuvent et qui doivent se rapprocher parce qu’il n’y a entre elles rien d’inconciliable. Préparer et réaliser ce rapprochement, c’est là justement l’œuvre de cette commission des quinze, qui a été nommée dès les premiers jours ; qui n’a point été tout à fait, à la vérité, telle que la droite le désirait, mais où les opinions conservatrices de toute nuance sont assez représentées pour avoir leur part dans la résolution définitive.

Au fond, quelle est la véritable difficulté ? quel est le véritable état des choses ? Les conservateurs de la droite et du centre droit, cela est bien clair, ne cèdent pas le terrain sans peine et sans regret ; ils défendent la situation qu’ils ont prise par la proposition de M. le général Changarnier. Ils tiennent toujours pour la présidence décennale, pour la prorogation indépendante des lois constitutionnelles ; ils hésitent sur l’organisation de la république, et si par le hasard qui a présidé à la distribution des bureaux ils sont en minorité dans la commission des quinze, ils espèrent toujours prendre leur revanche dans l’assemblée plénière et retrouver la majorité qui a déjà décidé l’urgence sur la proposition Changarnier. Soit, c’est possible. Il ne reste pas moins un fait de nature à frapper les conservateurs de bonne volonté et d’un esprit sincère, qui savent voir les choses telles qu’elles sont en se dégageant de toute prévention dangereuse ou futile. Peuvent-ils avoir aujourd’hui la moindre illusion sur la possibilité d’une restauration monarchique ? Croient-ils qu’il puisse y avoir de longtemps peut-être une chance de rétablir la royauté ? Ils ne le croient sûrement pas. Peuvent-ils d’un autre côté laisser la France sans institutions, sans une certaine organisation publique ? Ils ne le peuvent pas, ils ne se refusent pas à l’évidence, puisqu’ils acceptent eux-mêmes le principe des lois constitutionnelles. Maintenant cette organisation peut-elle se faire sous un autre nom que le nom de la république ? Et si tout cela est clair comme le jour, serait-il sensé de sacrifier à un regret, à une espérance déçue, une nécessité palpable, évidente, toute pratique, un intérêt essentiel et supérieur du pays ? Voilà la question dans ses termes les plus stricts ;