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justesse et un talent musical merveilleux. Tout dans ce beau morceau, — peut-être à l’insu des auteurs traduisant naïvement les impressions qui étaient alors dans l’air, — porte l’empreinte d’une patience arrivée au dernier degré de lassitude ; il semble que derrière la musique et les vers on entende les lointaines clameurs des foules irritées, et rien n’est plus saisissant que ces douleurs physiques et morales exposées sans plaintes, sans demandes de secours, et auxquelles succède tout à coup cette explosion farouche d’une gaîté menteuse et menaçante :

Mais un peu de vin
Me redonne haleine,
Me remet en train !

Maintenant mettez dans le parterre tous ces jeunes inconnus qui seront demain Hoche, Marceau, Vergniaud, Danton peut-être, et songez à l’effet que devait produire sur ces cœurs enflammés cette émouvante mélopée. Dans le Droit du seigneur, les vieilles querelles, les impardonnables offenses reparaissent : tout un village révolté crie vengeance contre le jeune et félon châtelain ravisseur de Babet, et l’amoureux de la jolie rosière, le hardi garçon qui mène la bande, ce n’est plus le Colin, le Lubin d’autrefois, c’est un hussard, un futur héros. La musique n’est que de l’émotion écrite ; il faut que le mouvement de la Marseillaise fût partout dans les chansons et les morceaux d’ensemble de cette période, car plus tard, lorsqu’il s’agit de composer l’hymne du 10 août, Catel n’eut en quelque sorte qu’à se souvenir. « Les deux premières mesures de son héroïque mélodie sont empruntées notes pour notes à une des phrases de Martini, phrase dans laquelle se trouve aussi, comme dans l’air du bûcheron, un pressentiment de la Marseillaise. » À la bonne heure, voilà de la critique intelligente, avec des points de vue et du pittoresque ! Il s’en faut que les divers chapitres du volume aient tous l’intérêt de ce morceau. Tous dénotent cependant du goût et du talent dans l’emploi des matériaux mis en œuvre de l’érudition, tout le monde en a, la grande affaire est de savoir tirer parti de ce qu’on possède, d’avoir la main habile et prompte à saisir le trait caractéristique d’une époque, à lier les rapports et dégager l’anecdote, de n’être ni ennuyeux ni frivole, et de savoir entrer en son sujet, s’y installer et le produire sous ses aspects divers. le ne connaissais M. Eugène Gautier que par ses opéras représentés à Favart, entre autres le Mariage extravagant, charmante musique, toute de verve et d’esprit, qui lui aura sans doute valu cette rare fortune d’obtenir un poème de M. Octave Feuillet, la Clé d’or. Et maintenant que j’ai lu son livre, le ne puis que féliciter le Conservatoire de s’être adjoint un pareil professeur d’histoire et d’esthétique musicales.

L’occasion m’est trop rare de parler des ouvrages qui se publient sur