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lieu du tumulte des partis politiques, du va-et-vient des intérêts matériels, et même pendant la guerre, son goût pour la musique a persisté ; mais de ce que ce sentiment, qui fut jadis notre orgueil, est aujourd’hui notre consolation et notre espérance, il ne s’ensuit pas que le directeur des concerts populaires ait le droit de vouloir l’exploiter au profit des noms les plus obscurs de la petite école de Weimar et de Bayreuth. Ceci devient de l’entêtement. Le public de l’an passé signifiait au prétendu maître de l’avenir son congé en bonne forme, cette année on nous le ramène et avec lui le plus remuant de ses prosélytes. La Danse des dryades, exécutée à la seconde matinée du Cirque, est le fragment d’une symphonie de M. Joachim Raff, intitulée Im Walde. Ce scherzo n’a rien qui le distingue des scherzos les plus ordinaires ; c’est du Mendelsohn revu et corrigé selon la formule, et, sans la marque de fabrique, un pareil échantillon n’eût jamais circulé parmi nous. Il paraît, que le dieu ne suffit pas, nous en arrivons à prendre ses bedeaux. À ce compte, M. Joachim Raff mérite les égards des fidèles ; personne mieux que lui ne s’entend à sonner la messe. Nous en parlons pour l’avoir vu jadis à l’œuvre sous les ordres de l’abbé Liszt. Compositeur assez médiocre, l’auteur de la Danse des dryades est pourtant de ceux qui savent leur affaire. C’est un sectaire passionné doublé d’un praticien habile, ce qui fait qu’en même temps, que son zèle et son fanatisme il aura toujours des modulations et des dissonances à mettre au service de la bonne cause.

De loin en loin, Richard Cœur-de-Lion reparaît à l’Opéra-Comique, et pour y fournir une série de trente à quarante belles représentations. La plus importante à laquelle nos générations aient assisté remonte à 1841. De cette époque date le remaniement orchestral d’Adolphe Adam, et son fameux trémolo des instrumens à cordes sous le deuxième couplet de la romance. On vit encore l’ouvrage en 1856. La reprise d’aujourd’hui semblait indiquée par les circonstances. « Ô Richard, ô mon roi, » prêtait plus que jamais à l’allusion. L’air a magnifiquement réussi, la salle comble l’applaudit chaque soir, mais sans que la question monarchique intervienne ; le débat reste circonscrit entre le public et le chanteur, M. Melchissédec, un Blondel chaleureux, sympathique et bien en voix. M. Melchissédec appartient à cette lignée de barytons ténorisans, ou, si on l’aime mieux, de ténors graves, qui depuis Martin et Chollet se perpétuent à l’Opéra-Comique. Nous l’avons vu cet été faire un excellent Zampa, et sa manière de comprendre et de tenir le rôle de Blondel ne mérite guère que des éloges. M. Duchesne, qui chante le roi Richard, oppose au vigoureux ténor sa résonnante haute-contre, trop vibrante pourtant dans les notes élevées. Au deuxième acte, les appels et les réponses se succèdent vaillamment ; avec un peu plus de modération des deux côtés, ce serait parfait.