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heureux ce Mermet, s’écriait-on, toutes les chances le favorisent. Ce n’est point assez que sa pièce soit représentée à l’Opéra, il faut encore que les événemens s’arrangent de manière à lui donner couleur de circonstance ! » C’était trop présumer ; les jeux de théâtre sont les jeux du hasard. En une nuit, la veine a changé ; l’incendie horrible s’est levé, et de toutes ces magnificences en travail déformation, il ne restait le lendemain qu’un amas de poussière calcinée. Brûlés, consumés par le feu, ces châssis qui sortaient à peine de l’atelier, — tordus, fondus, ces faisceaux d’armures résonnantes et resplendissantes, — détruits, anéantis, les instrumens de ce royal orchestre : harpes d’Érard, violons de prix, contrebasses de Renaudin plus que centenaires et d’une valeur exceptionnelle ! Bien peu s’en est fallu que le manuscrit même de la partition s’en allât en fumée ; espérons que les envieux trouveront dans ces malheureuses circonstances un motif de consolation et que pareille catastrophe leur fera prendre en patience le bonheur insolent de M. Mermet !

Le Théâtre-Italien veut absolument revivre : soit ; mais alors qu’il nous montre que son royaume est encore de ce monde, et qu’à l’exemple de ce philosophe de l’antiquité, pour nous prouver le mouvement, il marche. Du reste, la reconstitution de l’entreprise aura coûté de longs efforts ; les choses n’allaient pas toutes seules, non que les candidats à la direction fissent défaut, à Dieu ne plaise ! il s’en présentait par douzaines, tous le cœur brûlant des plus nobles flammes pour l’art, mais la poche également vide, et remplaçant par les meilleures intentions les millions qu’ils n’avaient pas. On écrirait un poème picaresque rien qu’à raconter les combinaisons fantaisistes de ces spéculateurs. Le théâtre ne chômerait jamais, il y aurait grands relais et troupes de rechange ; aux soirées de musique italienne succéderaient les soirées d’opéra comique, d’opérette bouffe et même de tragédie classique ; c’étaient des programmes truculens où le public et les jeunes compositeurs trouveraient à la fois leur compte, des enchantemens et des fantasmagories ! D’ordinaire celui qui promet le moins a le plus de chance d’être accepté, car il y a beaucoup à parier qu’il tiendra ce qu’il promet. M. Strakosch offrait simplement de prendre le théâtre dans les conditions telles quelles, et le ministre, qui ne demandait pas mieux que d’en finir, s’est dit tout de suite, comme le personnage du Calife de Bagdad : « Hâtons-nous de conclure avec cet homme bienfaisant et généreux. » Outre qu’il présente au point de vue financier des garanties sérieuses, le nouveau directeur se recommande et par le nombre et par l’étendue de ses relations. On n’a pas en vain une Adelina Patti dans sa famille. M. Strakosch a passé sa vie au milieu des étoiles ; tant qu’il y en aura au firmament sa main saura les décrocher, et quand il n’y en aura plus, il en fabriquera.

C’est là qu’est le danger. Nous ne sommes qu’au début de cette ad-