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de tuteurs infidèles, le bien d’un mineur, comment il s’évanouissait jusqu’à ne presque plus laisser de traces. Pour éviter ce danger, Pasion jeta les yeux sur un homme dont il avait éprouvé l’intelligence et la loyauté, sur son ancien employé, sur son successeur Phormion ; il lui confia la tutelle de son fils Pasiclès, tout en associant à cette responsabilité, comme membres d’une sorte de conseil de famille, quelques autres amis et parens. Afin d’être plus sûr encore de Phormion, il lui fit promettre d’épouser sa veuve ; celle-ci aurait pour dot 2 talens places l’un en Attique, l’autre dans l’île de Peparethos, une maison d’habitation évaluée à 100 mines, le mobilier qui la garnissait, des servantes, des bijoux, tout ce qu’il lui fallait enfin pour soutenir le train auquel était accoutumée la femme d’un riche banquier.

Tous ou presque tous, les trapézites étaient des étrangers ; quelques-uns de ces métèques ou de ces affranchis, ceux qui avaient fait les plus brillantes affaires, obtenaient vers la fin de leur carrière le droit de bourgeoisie. En attendant, tout entiers à la poursuite du gain, ils n’avaient pas ces goûts, cette habitude de vivre au dehors que donnait aux citoyens leur participation aux affaires publiques ; le bonheur domestique et les affections de famille devaient être le seul repos et la seule joie qu’ils trouvassent à côté des tracas de leurs spéculations. Aussi, à ce qu’il semble, la femme prenait-elle plus de place dans leur vie que dans celle du citoyen. Dans ces ménages où l’homme était ainsi rejeté par l’infériorité de sa condition légale vers le foyer, vers l’intimité conjugale, la femme avait un rôle supérieur à celui que lui faisaient ailleurs les mœurs de la bourgeoisie athénienne. Associée à une fortune très humble à ses débuts, mais qui n’avait pas cessé de grandir, elle en avait gravi pas à pas tous les degrés, elle en avait partagé tous les efforts, toutes les émotions, toutes les épreuves. Sans se montrer au comptoir, ce que s’auraient pas permis les habitudes antiques, elle pouvait pourtant faire profiter son mari de ce tact et de ce sens pratique que les femmes font souvent admirer dans le commerce, et qui les rend parfois d’incomparables chefs de maison. Plus d’une donnait de bons conseils à son mari, lui procurait, par les amies qu’elle fréquentait et les propos qu’elle recueillait, d’utiles renseignemens sur ses créanciers ou ses débiteurs, et le guidait, avec un flair subtil, dans le placement de ses fonds. Celle qui avait été, dans les premières années, la simple concubine de l’esclave encore sans pécule et sans droit devenait ainsi, par la vertu d’une longue et réciproque confiance, par l’ascendant des services discrètement rendus, plus épouse que la femme d’un riche Athénien, que celle d’un Périclès ou d’un Alcibiade.

La femme du banquier était au courant des affaires de la