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esclaves livrés par son adversaire de dédommager celui-ci du tort qu’il lui aurait fait en détériorant sa propriété. La bastonnade, la flagellation, la constriction exercée avec des cordes, étaient, à ce qu’il semble, les moyens d’intimidation les plus usités, et encore fallait-il n’en user qu’avec réserve. S’il en résultait une incapacité de travail un peu prolongée ou la perte d’un membre, si l’esclave périssait dans les tourmens, vous pouviez tout à la fois perdre votre procès et vous voir condamné à payer une indemnité bien supérieure à la valeur réelle de l’esclave. Peut-être y avait-il aussi une responsabilité pécuniaire pour les commissaires chargés de diriger ces cruels interrogatoires.

Ce n’en devait pas moins être pour le pauvre esclave, ainsi livré à des tourmens qu’il n’avait rien fait pour mériter, une heure de poignantes angoisses. Les esclaves accoutumés à la fatigue et à la peine, comme ceux qui travaillaient aux champs ou dans les mines, pouvaient encore se tirer à leur honneur de cette épreuve ; quelques coups de bâton étaient bientôt reçus ; mais il y avait à Athènes beaucoup d’esclaves qui remplissaient, soit dans des ateliers, soit dans des magasins ou des bureaux, des fonctions analogues à celles dont sont chargés chez nous des contre-maîtres ou de petits employés. L’usage et les mœurs laissaient à ces hommes, souvent très industrieux et très capables, une grande liberté d’allures ; comme le remarque l’auteur d’un écrit attribué à Xénophon, il était difficile de les distinguer, à leur costume et à leur langage, des citoyens eux-mêmes. Pour faire sentir à ces gens la distance qui les séparait des autres habitans d’Athènes, il fallait une circonstance comme celle-ci ; rien, dans la vie assez douce qu’ils menaient d’ordinaire, ne les avait préparés à d’aussi durs traitemens, et il y avait bien des chances pour qu’ils ne sussent pas résister à l’appareil menaçant de la torture et pour que la douleur leur arrachât bien vite des cris, des prières et des aveux. Kittos appartenait à cette catégorie d’esclaves. Pasion n’en pouvait guère douter : avant même d’avoir senti les premières pointes de la souffrance, il parlerait, il confirmerait le fait du dépôt ; il attesterait que, s’il était parti pour le Péloponèse, c’était bien sur l’ordre de son maître.

Aussitôt donc que l’on se fut réuni, quand Pasion vit apprêter les cordes et les verges sous les yeux de l’esclave déjà pâlissant, il changea de langage. « Interrogez Kittos, dit-il, posez-lui toutes les questions que vous voudrez ; mais ne le frappez point, je ne suis pas venu pour le livrer à des bourreaux. » Devant ce refus formel de Pasion, les arbitres qui avaient été désignés pour appliquer la torture au témoin et recueillir ses aveux n’avaient plus qu’à se retirer ; c’est ce qu’ils firent après avoir déclaré que suivant eux Pasion aurait dû remettre l’esclave. Le banquier répondait