Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/426

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hardiment l’offensive, il accuse Ménexène et son ami d’avoir séduit l’employé et d’en avoir reçu 6 talens frauduleusement soustraits à la banque ; il ajoute que, pour faire disparaître la preuve de ce vol, les instigateurs du délit ont fourni à leur complice les moyens de fuir. Pasion, on le voit, était homme de ressource. Son adversaire reste interdit devant une accusation aussi imprévue. Sans lui laisser le temps de se reconnaître, Pasion l’entraîne devant le polémarque, celui des archontes qui était chargé de la police des étrangers résidant à Athènes et qui recevait les actions intentées contre eux. Là il pleure, il crie, il s’indigne ; il demande que l’étranger, capable de s’enfuir avec l’argent dérobé, soit tout de suite jeté en prison, ou qu’il fournisse une caution de 6 talens. La caution se trouva ; mais c’était encore du temps perdu pour le fils de Sopæos. Avant d’attaquer Pasion, il fallait qu’il se défendît : au lieu de démontrer qu’il était victime d’un vol, il fallait qu’il commençât par prouver qu’il n’était point lui-même un suborneur et un voleur. Pasion pouvait espérer qu’il y aurait là de quoi décourager son créancier et le décider à repartir pour le Bosphore.

Par bonheur, Ménexène était un homme énergique, capable de tenir tête à Pasion lui-même. Au lieu de renoncer à lutter, il partit tout d’abord à la recherche de cet employé dont le témoignage devait être décisif. Guidé par je ne sais quels indices, il le suivit jusque dans le Péloponèse, s’assura de sa personne, et le ramena en triomphe à Athènes. Là il invita devant le magistrat Pasion à laisser mettre Kittos à la torture. La loi athénienne défendait d’appliquer la question aux personnes de condition libre ; mais elle l’autorisait pour les esclaves de l’un ou de l’autre sexe. De nombreux passages des orateurs attiques prouvent la confiance que l’on avait dans les avantages et les résultats de ce cruel procédé. Nos sociétés modernes, qui n’y ont renoncé que depuis le siècle dernier, n’ont pas le droit de s’étonner outre mesure que ce préjugé ait existé quatre siècles avant notre ère chez les Athéniens. On croyait donc naïvement que l’on avait toute chance d’arracher ainsi la vérité à celui qui la savait et ne voulait point la dire : aussi, quand on se trouvait en présence d’un adversaire dont les esclaves, pensait-on, pouvaient par leur déposition jeter de la lumière dans le débat, on le sommait de les livrer au tortionnaire. Vous aviez le droit de décliner cette requête ; mais c’était créer contre vous une présomption défavorable.

La situation de Pasion devenait mauvaise. Pour éviter la douleur, Kittos finirait par avouer, d’une part qu’il avait vu l’étranger confier des fonds à la banque, de l’autre que c’était son propre maître qui l’avait éloigné d’Athènes. Il fallait à tout prix lui éviter la torture. Pasion avait plus d’un tour dans son sac ; voici ce qu’il