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au contraire la banque qui lui avait prêté 300 drachmes et qui pouvait le poursuivre. » On ne put obtenir d’autre réponse.

Il n’y avait plus à en douter, Pasion avait résolu de s’approprier la plus grosse part des dépouilles du malheureux. La plainte était impossible. Il n’y avait rien eu d’écrit entre les deux parties, et le dépôt n’avait eu d’autre témoin qu’un jeune esclave qui faisait fonction de caissier chez Pasion. D’ailleurs on ne pouvait songer à entamer une revendication judiciaire et à citer ce témoin. Le volé s’était fait d’avance le complice et le garant de son voleur ; il avait arrangé avec lui une comédie dont il se trouvait maintenant la victime. N’avait-il pas lui-même dit et répété à qui voulait l’entendre qu’il ne possédait plus rien, qu’il ne vivait que des avances de Pasion et de quelques autres prêteurs ? S’il se donnait aujourd’hui un démenti, et qu’un tribunal contraignît Pasion de rendre gorge, à qui profiterait cette restitution ? Les représentans du roi mettraient opposition au paiement ; l’argent ne sortirait de la banque que pour tomber entre leurs mains, et tout le fruit qu’en retirerait le plaignant, ce serait d’être un peu plus compromis auprès du roi ; celui-ci ne manquerait point de faire payer au père l’effronté mensonge du fils.

L’impunité était donc à peu près assurée à Pasion, et sa dupe en devait être pour sa courte honte, quand se produisit dans ce petit drame une soudaine péripétie. Sopæs non-seulement était sorti de prison, mais il était plus en faveur que jamais auprès de son prince, qui, pour lui donner un public témoignage de réconciliation et d’amitié, avait fiancé son propre fils à la fille du ministre. C’étaient là les nouvelles inattendues qu’avaient apportées au Pirée les derniers navires arrivés du Bosphore. Au lieu d’être comme la veille presque un proscrit, un de ces abandonnés du sort contre lesquels on peut tout oser, le client de Pasion était redevenu le fils d’un ministre, le beau-frère d’un roi. L’infidélité dont il craignait jusqu’alors de se plaindre pour ne pas risquer de se perdre lui-même, il allait pouvoir la dénoncer tout haut. Sans doute Pasion pouvait se tirer d’affaire en restituant ; mais il était bien résolu à n’employer ce moyen désespéré qu’à la dernière extrémité ; il avait commencé à faire de ces capitaux un trop habile usage pour ne pas les regarder déjà presque comme sa propriété. Il s’agissait donc tout au moins de gagner du temps ; d’un jour à l’autre, un caprice du maître ne pouvait-il renvoyer Sopæos en prison et refaire de son fils un pauvre hère que l’on aurait de nouveau à sa discrétion ?

Le plus, pressé, c’était d’éloigner cet employé de la banque, ce Kittos, unique témoin du versement opéré par l’étranger. Pasion le fait donc en secret sortir d’Athènes, et quand celui qu’il a voulu spolier vient le sommer de laisser Kittos déposer, il prend