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I

Athènes, au IVe siècle avant notre ère, avait beaucoup perdu de sa puissance politique : elle n’en était pas moins restée, après ses désastres de Syracuse et d’Ægos-Potamos, la capitale intellectuelle de la Grèce et en même temps sa métropole financière, le principal marché des capitaux. Dès que la paix était rétablie et la mer libre, Athènes rouvrait ses chantiers et ses magasins, ses ateliers et ses comptoirs ; les blés du Bosphore cimmérien remplissaient les greniers du Pirée, grand entrepôt de céréales, où venait puiser le monde grec tout entier ; les commandes affluaient de toutes parts. L’épargne se reformait si vite que les traces de la guerre semblaient bientôt tout à fait effacées. C’était même là pour le peuple et pour ceux qui le conduisaient, une tentation, un péril. A voir se recréer ainsi, comme par enchantement, la richesse perdue, on risquait d’oublier trop aisément les plus dures leçons, et de se laisser aller à rejeter la ville dans les aventures avant qu’elle ne fût vraiment remise des secousses et des blessures récentes.

Dans cette œuvre d’incessante réparation, dans ce fécond mouvement de production et d’échanges, les trapézites ou banquiers, dépositaires de l’épargne et dispensateurs du crédit, jouaient un rôle qui, jusqu’à ces derniers temps, n’avait point assez attiré l’attention des modernes historiens de la Grèce. Ce n’était pourtant point que les documens fissent défaut. Chez les orateurs attiques, il est très souvent question des banquiers ; ils figurent comme intermédiaires habituels dans un grand nombre d’actes et de transactions. De plus, par une singulière fortune, un plaidoyer d’Isocrate, le Trapézitique, et plusieurs plaidoyers conservés sous le nom de Démosthène[1] nous permettent de suivre, pendant près d’un demi-siècle, l’histoire d’une même maison de banque athénienne sous trois chefs qui la dirigèrent l’un après l’autre, Archestratos, Pasion et Phormion ; on pourrait presque dire que nous en feuilletons les livres, que nous en avons les inventaires sous les yeux. Grâce à ces précieux renseignemens, nous pénétrons dans un monde où ne nous conduisent pas les Thucydide et les Xénophon, dans celui des gens d’affaires, ou, si j’ose ainsi parler, de la bourse d’Athènes. Sans doute ceux que nous y rencontrons sont loin d’être des Aristide et des Phocion : certaines de leurs opérations font plus

  1. Ces discours sont ceux qui ont pour titre, 1° Exception pour Phormion, 2° Contre Callippos, 3° Contre Timothée, assigné en paiement de sa dette, 4° Contre Stéphanos, pour faux témoignage, deux discours. De ces plaidoyers, il n’y en a qu’un, selon toute apparence, qui soit l’œuvre de Démosthène lui-même, c’est l’Exception pour Phormion ; les autres plaidoyers auraient été tout à la fois composés et débités par le fils aîné de Pasion, Apollodore.