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dans la science, par lesquelles il nous montre l’âme s’élevant peu à peu à la liberté par les différens degrés de l’idée, du désir et de l’amour. Nous ne pouvons qu’indiquer ici les développemens ingénieux, brillans, éloquens, que l’auteur a donnés à ses pensées. Le principal trait du talent de M. Fouillée est l’abondance. Les idées naissent sous sa plume les unes des autres avec une fécondité surprenante. Néanmoins cette abondance n’est pas sans dangers. Développer n’est pas toujours éclaircir. Nous avons donné quelques exemples de cette tendance à noyer toutes les idées les unes dans les autres qui est l’écueil de ce brillant talent. Il y a en lui quelque chose de cette obscurité qui caractérise les écrivains quiétistes, et qui a son origine dans un excès d’imagination uni à l’excès d’analyse. Il doit craindre le raffinement et la subtilité. Cette belle et noble intelligence donne trop d’espérances à la science solide et saine pour que nous ne l’invitions pas aussi à se défendre contre les diffusions et les effusions du mysticisme sentimental. Il a de l’âme, il a de l’esprit, il pense et il écrit. Qu’il se résigne à se priver de ses propres richesses, à être sévère envers sa propre pensée, à ne pas vouloir trop dire ni tout dire. Il n’est pas à craindre qu’il se dessèche ; il doit apprendre à se châtier et à se borner.

L’obscurité, la subtilité et le raffinement, tels sont les défauts de la nouvelle école ; elle les rachète amplement par la force, la profondeur, la noblesse de la pensée. On doit lui savoir gré d’avoir restitué à la philosophie un caractère hautement scientifique, et de n’avoir pas reculé devant les questions difficiles. Elle doit seulement ne pas avoir trop peur des idées simples, et ne pas se laisser aller au plaisir trop facile de retourner les idées reçues. La profondeur est une belle chose ; mais il y a quelquefois tel degré de profondeur où l’on ne sait plus ce qu’on dit. On pourra chicaner sur l’orthodoxie de telle ou telle formule ; mais ce qu’on ne contestera pas, c’est l’élévation morale et religieuse des trois philosophes dont nous avons exposé les idées. Ce qu’on peut leur reprocher au point de vue philosophique, c’est d’avoir trop sacrifié à la synthèse, et de mettre un peu tout dans tout. Il y a deux problèmes en philosophie : distinguer et unir. L’ancien spiritualisme distinguait trop, et négligeait le lien continu des choses ; le nouveau spiritualisme confond trop peut-être, et laisse échapper les différences et les oppositions. C’est le propre de la critique de toujours contredire, et de vous demander précisément ce que vous ne faites pas. Séparez-vous les choses, je vous demande de les réunir ; les unissez-vous, je vous demande de les séparer. S’il en était autrement, c’est que la philosophie aurait dit son dernier mot. Hélas ! nous n’en sommes pas là.


PAUL JANET.