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primitive, appelée Dieu (substance, force, pensée, idée, volonté, comme on voudra), a laissé émaner d’elle des unités secondaires appelées âmes qui se distinguent d’une part de la cause suprême par la conscience de leur individualité, de l’autre des pluralités coexistantes appelées corps, par la conscience de leur unité. Si c’est là du demi-spiritualisme, nous sommes des demi-spiritualistes. Pour nous au contraire, c’est là le vrai milieu, et tout ce qui le dépasse est à nos yeux un ultra-spiritualisme, qui peut d’un instant à l’autre se changer en son contraire.


IV

M Alfred Fouillée, collègue de M. Lachelier à l’École normale supérieure, et qui partage avec lui la direction de notre enseignement philosophique, est un jeune écrivain qui en peu de temps s’est placé au premier rang par deux ouvrages diversement et également remarquables : l’un historique, l’autre théorique, le premier sur la Philosophie de Platon, le second sur la Liberté et le déterminisme, dont lui Caro a déjà signalé et discuté quelques opinions[1], mais que nous avons à considérer par un autre endroit et dans ses principes. Le talent de M. Fouillée est d’un tout autre genre que celui de lui Lachelier, et sa doctrine philosophique ne présente pas les mêmes caractères. L’un, nous l’avons vu, est rigoureusement ce que l’on appelle un idéaliste ; l’autre appartient plutôt au spiritualisme proprement dit. L’un est plus condensé, plus systématique, plus exclusif ; l’autre est plus riche, plus abondant, plus ingénieux en détails, plus psychologue, et aussi d’un esprit plus ouvert, plus conciliateur. L’un est porté à tourner toutes les idées dans le sens de sa propre pensée ; l’autre aime à les étager les unes au-dessus des autres pour les amener à la sienne. M. Lachelier a peut-être plus de force ; M. Fouillée a plus de largeur. L’un et l’autre ont une forte imagination ; mais l’un se contient, l’autre déborde. Ils sont tous les deux obscurs, l’un par concision, l’autre par diffusion, Sans doute il ne faut pas être superficiel ; cependant je ne voudrais pas qu’un philosophe français écrivit une ligne sans se demander : Que dirait Voltaire ? sauf à passer outre si la conscience l’ordonne ; mais combien de fois aussi n’arriverait-il pas que l’on changerait une expression affectée pour une plus simple, une idée téméraire pour une plus solide, si l’on avait toujours devant les yeux ce maître de la critique et de, la raison ! Malgré toutes les différences d’esprit et d’opinion qui séparent ces deux penseurs, ils ont un caractère commun : c’est, au début de la science, une extrême

  1. Voyez la Revue du 1er août dernier.