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une école : tot capita, tot doctores, — autant de bonnets, autant de docteurs ! Qu’importe qu’on ait un tiers, un quart, une moitié de spiritualisme ? On en a ce qu’on peut, et il peut être aussi dangereux d’en avoir trop que pas assez. Pour moi, je voudrais un large symbole, comprenant tous les degrés ou toutes les fractions de l’idée spiritualiste, depuis le mysticisme de Malebranche jusqu’à l’empirisme de Locke. « Il y a bien des places dans la maison du Seigneur. » Cette querelle faite une fois pour toutes, nous sommes les premiers à reconnaître que, s’il y a aujourd’hui dans l’Université française un penseur à qui appartienne légitimement la direction de la pensée spiritualiste, c’est à l’auteur du Rapport sur la philosophie au dix-neuvième siècle.


III

M. Lachelier est un disciple de M. Ravaisson ; mais c’est un disciple émancipé, plus hardi que le maître, et d’une trempe différente. La méthode, la tournure d’esprit, la doctrine même, tout est dissemblable. Il n’y a de commun qu’une certaine direction générale de la pensée, l’emploi de certaines formules et une tendance finale analogue. Et d’abord l’auteur procède d’une manière toute différente. Au lieu de ces jets de lumière électrique entrecoupés par la nuit, qui caractérisent la méthode intuitive et hardie de M. Ravaisson, c’est au contraire une pensée systématique et continue qui se poursuit sans interruption de la première ligne jusqu’à la dernière du remarquable travail sur le Fondement de l’induction. Cet enchaînement est tellement serré qu’il forme en quelque sorte un seul et même nœud, ou plutôt une suite de nœuds enchevêtrés l’un sur l’autre, et qu’il faut dénouer avec le même effort depuis le premier jusqu’au dernier. Rien pour le repos de l’esprit, rien pour l’agrément, rien pour la lumière. Ceux qui ont accusé la philosophie universitaire d’être une philosophie littéraire et superficielle n’auront plus à se plaindre. Ici, la sévérité philosophique est poussée jusqu’à l’âpreté. Quoique remarquablement écrit, d’une manière forte et pure, quelquefois même colorée, le travail de M. Lachelier est à peu près aussi facile à lire qu’un traité d’algèbre, encore avec cette différence que la langue algébrique, étant d’une précision absolue, ne demande, pour être comprise, que de l’attention et de la patience, tandis que les signes indéterminés de la langue philosophique obscurcissent et fatiguent la pensée, si l’auteur ne vient continuellement à votre aide pour en fixer l’interprétation : c’est ce que ne fait pas assez M. Lachelier ; c’est pourquoi son livre, si attachant par le fond des choses, impose à l’esprit une fatigue excessive que