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les grandes voies de la libre métaphysique, et attester sa vitalité par des œuvres nobles et fortes, et par un enseignement puissant.


I

Est-il bon qu’il y ait une philosophie d’université, une philosophie d’école ? C’est ce que nous n’avons pas à examiner ici. Le fait est qu’une telle philosophie existe partout, avec plus ou moins de liberté, et que partout aussi elle a affaire avec une orthodoxie jalouse qui la suspecte et une philosophie révolutionnaire qui l’insulte[1]. Prenant donc le fait comme il est, nous essaierons d’expliquer par quelles phases diverses et par quels degrés a passé le spiritualisme universitaire, depuis ses premiers représentans jusqu’à l’époque actuelle, par quels liens nos nouveaux philosophes se rattachent à leurs ancêtres et par où ils s’en séparent…

Ce serait une grave erreur de croire que la doctrine universitaire ait toujours présenté ce caractère d’unité, de fixité, de sévère orthodoxie que l’on s’est accoutumé à lui imputer. L’expression même d’école spiritualiste à l’origine n’était pas connue ; l’école, à ses débuts, s’appelait elle-même l’école éclectique, expression plus compréhensive que la précédente. Dès les premières origines de cette école, on y découvre deux tendances différentes : l’une plus spéculative, inclinant vers l’Allemagne, l’autre, plus modeste et tout expérimentale, inclinant vers l’Ecosse. De 1820 à 1830, M. Cousin a penché évidemment du côté de l’alexandrinisme et de l’hégélianisme. Jouffroy au contraire poussait la circonspection métaphysique à un point qui dans un autre temps aurait pu le faire accuser de positivisme. Lorsqu’il disait par exemple que le problème de l’âme est « un problème prématuré, » lorsqu’il distinguait « les questions de fait et les questions ultérieures, » il n’avais pas, un grand chemin à faire pour déclarer que ces questions ultérieures et prématurées étaient en réalité des questions insolubles. Une grande liberté à donc signalé les origines du spiritualisme contemporain.

Ce n’est qu’à partir de 1830 que l’école nouvelle prit décidément la direction de l’enseignement universitaire. C’est de 1830 à 1840 qu’elle s’est constituée à titre de philosophie officielle, de philosophie d’état. Dès lors, réagissant d’une part contre la philosophie trop négative de l’Ecosse, laquelle aboutissait vers le même temps à Hamilton, et d’autre part contre le panthéisme spéculatif de

  1. Voyez par exemple en Allemagne, le pamphlet sanglant de Schopenhauer sur la philosophie d’université (Über die Universitäts-Philosophie).