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unanimes communiquent à un peuple ? pourquoi a-t-on négligé d’en tenir compte dans les calculs de la politique et les prévisions de l’avenir ? Nous pouvons dire que de notre poste d’observateur nous n’avons pas failli à cette tâche. A l’heure où s’achevait la période que nous venons de retracer, nous signalions certains symptômes dont les hommes d’état eussent bien fait de prendre note. Nous nous refusions à croire que la Prusse fût hors de combat, comme se l’imaginait le prince de Schwarzenberg ; nous disions que la défaite de la Prusse, comme la victoire de l’Autriche, était plus apparente que réelle, et que, les hommes changeant de rôle, les affaires changeraient de face. C’est l’avertissement que nous adressions aux vainqueurs, lorsque nous écrivions ici même : « Tout a réussi selon leurs vœux, tout a plié devant leur audace tant qu’ils ont eu affaire à des tentatives d’usurpations servies par une intelligence plus brillante que forte ; qu’ils prennent garde de vouloir usurper à leur tour, et, malgré la netteté de leur esprit, de se fourvoyer dans les chimères. Il y a deux illusions qui peuvent séduire également l’Autriche et la Prusse, et les jeter dans les folles aventures. En Prusse, c’est la tradition d’un patriotisme hautain qui se croit appelé, depuis Frédéric le Grand, au gouvernement de l’Allemagne entière ; en Autriche, ce sont les souvenirs du vieil empire germanique, souvenirs qui, réveillés peu à peu par les fautes mêmes de la Prusse, semblent pousser aujourd’hui le cabinet de Vienne à des entreprises exorbitantes… Les chimères du sud ne valent pas mieux que celles du nord. Que l’Autriche ne s’attribue pas plus qu’il ne lui appartient ; le prestige de ses vieux titres est surtout invoqué lorsqu’il est d’accord avec les intérêts présens. Le jour où elle voudrait refaire le passé, les états qui ont recouru à son assistance pour échapper à la souveraineté des Prussiens ne tarderaient pas à se retourner contre elle. Ces rois eux-mêmes qui, dans l’entrevue de Bregenz, portaient l’an dernier des toasts si chevaleresques au jeune empereur François-Joseph, ne les voit-on pas déjà tenir un langage plus approprié à ce temps-ci, le sérieux langage des intérêts et des affaires ? Quand le gouvernement de Bavière, par l’organe de M. de Pfordten, s’efforce de repousser à Dresde la politique autrichienne, quand le roi de Wurtemberg écrit au prince de Schwarzenberg pour le détourner de ses projets et qu’il demande auprès de la diète un parlement national, ces symptômes ne disent-ils pas assez haut que le débat n’est pas seulement entre le cabinet de Vienne et le cabinet de Berlin ? Il y a désormais trois Allemagnes, l’Autriche, la Prusse et le groupe des états secondaires. Ni la Prusse n’est aussi faible, ni l’Autriche n’est aussi forte qu’on pourrait le supposer d’après les circonstances récentes, toutes deux, elles ont besoin de cette troisième partie de l’Allemagne dont il est impossible de ne pas