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Hesse-Électorale devait porter un autre nom. Il s’agissait là non pas de la Hesse, mais de la Prusse. Ce n’est pas contre l’honnête population hessoise que vont être lancés les 200,000 hommes de l’Autriche, de la Bavière et du Wurtemberg, appuyés, s’il le faut, par une armée russe ; c’est le destin de la Prusse qui va se décider sur la route de Cassel. M. de Radowitz, renonçant enfin à la guerre de notes, comprend qu’il n’y a plus qu’à tirer l’épée. Déjà le 24 octobre, sur l’ordre de M. de Radowitz, le général de Grœben, à la tête d’un corps de troupes prussiennes, a envahi la Hesse et occupé les routes stratégiques d’Asfeld, de Hersfeld, de Buttlar. Après les conférences de Varsovie (25-28 octobre), la situation devenant plus grave d’heure en heure, le ministre propose au roi de mobiliser l’armée et la landwehr. Le roi se trouble, il voit en face de lui la majesté de la vieille Allemagne, le représentant du droit, le gardien de la tradition, celui que le roi de Bavière et le roi de Wurtemberg appellent simplement l’empereur. Il se trouble, il a des scrupules, il veut négocier encore et s’entendre avec l’Autriche. M. de Radowitz insiste, disant que, même pour négocier, il faut déployer résolument toutes les forces militaires du royaume. Le roi s’y refuse ; M. de Radowitz donne sa démission (3 novembre).

Le soir même du jour où cette démission fut donnée et acceptée, le roi écrivait à son ami une touchante lettre de sympathie et de regret. Nous la reproduisons ici non-seulement parce qu’elle jette un jour assez vif sur le caractère de l’un et de l’autre, mais aussi parce qu’elle est liée d’une manière étroite à l’histoire que nous racontons.


« Sans-Souci, 3 novembre 1850, six heures du soir.

« Vous sortez à peine d’ici, mon cher ami, mon ami très aimé, et déjà je prends la plume pour vous adresser une parole d’affliction, de fidélité et d’espérance. J’ai signé l’arrêté qui vous enlève le ministère des affaires étrangères, et Dieu sait si mon cœur n’était pas accablé ! J’ai dû faire plus encore, moi, votre ami fidèle ; devant mon conseil assemblé, j’ai approuvé la résolution que vous avez prise de quitter les affaires, je vous en ai loué publiquement. Cela seul dit tout et peint ma situation d’une manière plus poignante que ne pourraient le faire des volumes. Je vous remercie du plus profond de mon cœur pour vos travaux au ministère ; votre ministère, mon ami, a été l’ingénieux et magistral accomplissement de mes desseins et de mes volontés. Ces desseins et ces volontés se fortifiaient auprès des vôtres, car nous avons toujours pensé et voulu de même. Malgré toutes nos tribulations, ce fut là un beau temps, une belle heure dans ma vie, et, tant qu’il me restera un souffle, j’en remercierai le Seigneur, que nous reconnaissons tous deux et en qui nous avons placé tous deux notre espérance. Que le