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conscience de Frédéric-Guillaume et de M. de Radowitz ; il tenait ensuite un langage hautain qui achevait de les troubler. Il voulait que l’image du vieil empire, de l’empire si longtemps inféodé à la maison de Habsbourg, apparût pour ainsi dire dans toutes ses circulaires. Quelles que fussent ses entraves, il parlait en maître. Imaginez un homme qui, atteint par une catastrophe, paraît indifférent aux désastres de l’heure présente, tant il est assuré des revanches de l’heure prochaine ; c’était l’attitude du prince de Schwarzenberg. Quand il repoussait telle ou telle doctrine du cabinet de Berlin, il avait l’air de protester au nom de l’avenir comme au nom du passé, au nom du futur empire d’Allemagne comme au nom de l’empire séculaire. Ces allures, dont beaucoup d’esprits s’irritaient en Prusse, imposaient au roi. Frédéric-Guillaume, si attaché aux souvenirs du monde féodal, éprouvait une sorte de crainte superstitieuse devant cette apparition des vieux âges. Autrefois, dans ses conversations avec Bunsen, n’avait-il pas réservé le saint-empire à l’Autriche, en donnant à la Prusse la royauté allemande ? C’est à la somnolente Autriche du prince de Metternich qu’il avait affaire en ce temps-là ; désormais il avait en face de lui une Autriche réveillée par des coups de foudre, l’Autriche du prince de Schwarzenberg, qui réclamait à la fois et le saint-empire et la royauté allemande. Tout cela le troublait, le déconcertait. Son génie étonné, comme dit le poète, tremblait devant le génie de la vieille Allemagne. Il se demandait par instans s’il ne se rendait pas coupable de lèse-majesté, lui qui, dans la future organisation de l’état monarchique, prétendait se substituer aux Habsbourg. Ainsi s’explique le tableau extraordinaire que nous offrent les années 1849 et 1850 : d’un côté la mollesse, les incertitudes, les contradictions de la politique prussienne au lendemain de ce vote de l’assemblée nationale donnant l’empire au roi de Prusse, au lendemain de ses victoires sur la démagogie de Bade et du Palatinat, — de l’autre le langage impérieux et la politique inflexible de l’Autriche au milieu même des crises qui avaient failli la perdre.

Pendant toute l’année 1849, circulaires, dépêches, mémorandums, se croisent comme des coups de feu sur la route de Vienne à Berlin. Voyez dans cette mêlée les actes principaux des deux adversaires, Radowitz et Schwarzenberg. Le 26 mai 1849, le roi de Prusse a fait signer au roi de Hanovre et au roi de Saxe un traité qui associe les trois royaumes à une même existence politique, et règle les conditions de cette communauté. C’est le noyau de l’unité future au profit de la Prusse, suivant les idées personnelles de Frédéric-Guillaume et les combinaisons de M. de Radowitz. Le coup est bien joué, mais Schwarzenberg est là ; malgré les embarras que lui cause l’insurrection hongroise, il parle, il agit. Les deux rois