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démagogues Hecker et Struve ont tellement bouleversé les esprits dans ces contrées qu’on y aime la révolution pour elle-même. Un historien allemand assure que l’idéal politique des Badois de ce temps-là était l’anarchie sentimentale[1]. Cette anarchie a déjà désorganisé l’armée badoise ; les clubs ont décidé qu’en cas de lutte avec les troupes on tirerait seulement sur les officiers, jamais sur les frères. Dans un pays aussi sentimental, comme dit l’historien que nous venons de citer de telles avances devaient produire leurs résultats : le 11 mai, la garnison de Rastadt se révolte. Le général Hoffmann, ministre de la guerre, qui se porte en toute hâte de Carlsruhe à Rastadt avec de nouvelles troupes, ne peut échapper qu’à grand’peine, lui et les officiers qui l’entourent, aux violences des soldats déchaînés. La garde civique et l’armée fraternisent. A Loerrach, à Fribourg, à Bruchsal, mêmes révoltes et mêmes, fureurs. Le 13 mai, une assemblée populaire réunie à Offenbourg demande la dissolution des chambres, la convocation d’une constituante, la destitution du ministère Bekk et une amnistie générale. L’avocat Brentano, le chef le plus influent des clubs, obtient pourtant, non sans lutte, que la république ne soit pas proclamée. Cette modération relative n’était qu’une apparence. En réalité, on déclara la révolution permanente ; un comité exécutif est nommé par acclamation, et ce comité reçoit l’ordre de préparer un fonds de pensions pour les citoyens devenus incapables de travail. Le drapeau du socialisme se déployait déjà dans la mêlée. Le soir du même jour, une émeute militaire éclate à Carlsruhe. Deux compagnies arrivant de Bruchsal détruisent l’intérieur d’une caserne, démolissent la maison d’un colonel que son zèle pour la discipline désignait d’avance à leurs fureurs, massacrent un adjudant qui essayait de les faire rentrer dans le devoir, mettent à mort un sous-officier, un simple soldat, et se jettent sur l’arsenal, qui fut bravement défendu par les bourgeois. La nuit suivante, le grand-duc et sa famille, sous la protection d’une escorte de cavalerie et d’artillerie, prennent la fuite ; effaré, incertain, craignant de rencontrer partout l’insurrection victorieuse, le grand-duc se rend d’abord à Germersheim, il se réfugie ensuite sur le territoire français, dans une petite ville d’Alsace, et de là remonte vers Francfort, où il sollicitera la protection du vicaire de l’empire. Malheureusement le vicaire de l’empire, sans troupes suffisantes pour faire exécuter ses propres décrets, était sommé par l’assemblée nationale, précisément à ce moment-là même, de mettre les insurgés de Bade et du Palatinat sous la protection de l’empire (vote du 15 mai 1849). Sans espoir de ce côté, le grand-duc est

  1. « Eine « gemüthliche Anarchie » kam vielen als das Ideal ihrer politischen Wünsche vor. » Geschichte der neuesten Zeit, 1816-1866, mit besonderer Berücksichtigung Deutschlands, von Wilhelm Müller, 1 vol. ; Stuttgart 1867.