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appelés pour savoir d’eux s’ils veulent vivre, on les a appelés pour savoir s’ils préfèrent mourir de la main royale ou de la main des paysans ; ils ont choisi la première, et se sont résignés. Quant à l’Autriche, n’osant pas protester et ne pouvant pas résister, elle garde un lugubre silence. Ainsi se sont accomplies les glorieuses destinées de la maison de Brandebourg. L’histoire de cette famille, depuis le grand-électeur jusqu’à Frédéric-Guillaume IV, aujourd’hui régnant, est la plus prodigieuse de toutes les histoires. Le roi de Prusse touche au terme de tous ses désirs. Il a toujours cru que sa glorieuse famille était prédestinée de Dieu pour gouverner l’Allemagne, et, s’il a mis tant de fermeté à repousser le décret de l’assemblée qui mettait une couronne à ses pieds, pour prendre ensuite cette couronne sous un autre nom et par une autre voie ; c’est uniquement parce qu’il ne pouvait se résigner à accepter comme un don ce qu’il considérait comme une propriété, à recevoir des hommes ce que lui envoyait Dieu, à voiler le décret du ciel sous le décret d’une assemblée. Maintenant, selon sa manière de voir, personne n’osera dire que son élévation est l’œuvre des hommes. En effet, qui ne verrait le doigt de Dieu dans cette abdication volontaire de tous les princes, qui avant de mourir le saluent empereur pacifique, victorieux, et clément[1] ? » Cette page, écrite de Berlin le 23 mai 1849 par un observateur si pénétrant, montre assez quel était à cette date le prestige du roi de Prusse. L’ironie un peu hostile qui perce çà et là sous les graves paroles de l’écrivain donne plus de poids encore à ses déclarations. Ce n’est pas un ami qui parle, on le sent bien. M. Donoso Cortès remarque un peu plus loin que la marche des choses, en dehors de toute action personnelle de Frédéric-Guillaume IV, a concentré tout le pouvoir entre ses mains : n’est-il pas en 1849 le seul souverain allemand qui ait la libre disposition de toutes ses forces militaires ? N’est-ce pas lui qui avec ses troupes a sauvé Dresde et maintenu la couronne sur la tête du roi de Saxe ? N’est-ce pas à lui qu’il appartient désormais de protéger l’Allemagne du midi contre les entreprises démagogiques ? Naguère encore c’était le rôle de l’Autriche ; mais qui peut compter sur l’Autriche en 1849, quand elle a besoin elle-même du secours de la Russie pour ne pas fléchir sous les coups de l’insurrection magyare ? C’est donc la Prusse qui est l’arbitre de l’Allemagne. Tous les états secondaires sont dans la nécessité de lui confier leur salut ou d’être victimes de la-révolution. « Ainsi, conclut Donoso Cortès, tous les chemins en Allemagne aboutissent à l’empire, et tous les peuples viennent à

  1. Œuvres de Donoso Cortès, marquis de Valdegamas, ancien ambassadeur d’Espagne près la cour de France, 2, édition, Paris 1862. — Voyez, dans le tome II, les curieuses pages qui portent ce titre : Lettres politiques sur la situation de la Prusse en 1849.