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consenti à se dépouiller. Le gouvernement, dont le patriotisme s’était éveillé, sentit qu’il y allait de l’existence de l’Espagne ; il déclara qu’il appartenait aux cortès constituantes de régler la nouvelle organisation, que, jusqu’à leur réunion, il maintiendrait le statu quo. En dépit de toutes les requêtes et de toutes les menaces, il ne faiblit pas, et sa résistance lui fut aussi honorable qu’elle fut utile au pays. Malgré les clameurs des démagogues, il parvint à obtenir des populations qu’elles s’en remissent aux cortès, empêchant ainsi la dislocation peut-être irrémédiable de la Péninsule.

À la vérité, pour obtenir justice sur le principal, le ministère dut se résigner à perdre beaucoup d’incidens, fermer les yeux sur plus d’une irrégularité fâcheuse, permettre à Malaga d’expulser ses douaniers et sa garnison, autoriser Séville, Grenade et d’autres villes à ne plus relever que nominalement de Madrid. Il avait refusé aux cantonalistes de leur délivrer des permis de chasse avant le jour de l’ouverture ; il les laissait braconner sans avoir l’air de s’en apercevoir ; le sage ne s’aperçoit pas des affronts qu’il ne peut venger. Son plus vif souci lui venait de la Catalogne, qui ne recule pas devant les partis extrêmes. M. Figueras se vit contraint de partir pour Barcelone, où il réussit à calmer l’effervescence, à tranquilliser des cerveaux échauffés et remuans. Il se tira fort adroitement de cette négociation. On le soupçonna, il est vrai, de n’avoir pu conjurer le péril sans contracter des engagemens périlleux, qui plus tard l’ont embarrassé. Toutefois ce n’est qu’une supposition, car le président du conseil fut pris dans son voyage d’une extinction de voix, et il fut obligé de parler si bas aux Catalans que Madrid n’a jamais bien su ce qu’il leur avait dit.

Du reste, les principaux membres du gouvernement provisoire n’étaient pas hommes à prendre facilement l’épouvante. Tandis qu’autour d’eux on s’inquiétait de l’état des finances, qui semblaient pencher vers la banqueroute, des complots qui couvaient dans Madrid, des désordres qu’on voyait éclater çà et là dans les provinces, ils affectaient une grande quiétude d’esprit ; leur philosophie optimiste déclarait que tout est bien qui finit bien. Le président du conseil, dont la principale fonction était de traiter avec les partis et de résister à leurs exigences en adoucissant leurs aigreurs, s’acquittait à merveille de son office. Il aurait pu dire dans le langage de Mme de Maintenon : Je les renvoie tristes, mais jamais désespérés. Il se confiait dans sa dextérité, qui n’en était pas à son premier succès, et, quand la situation semblait devenir effrayante, il rassurait son monde en disant que les esprits ne tarderaient pas à se rasseoir, que l’excitation momentanée dont on se plaignait n’était pas un mal, que la fièvre n’est pas toujours l’ennemie du médecin,