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entre eux pour se réunir en corps de nation, mais qu’on n’a jamais vu un état unitaire se transformer pacifiquement en état fédératif, qu’en un mot on ne fabrique pas des confédérations par voie de décrets. « Vous nous vantez les institutions suisses, disait un jour un politique de grand esprit à l’un des apôtres du fédéralisme. La Suisse a-t-elle été l’œuvre de l’histoire ou d’un décret ? Donnez-nous son histoire, et nous accepterons ses institutions. » Et quel moment prenait-on pour anéantir l’œuvre des siècles en désagrégeant ce qu’ils avaient laborieusement assemblé ? Le temps où les puissances européennes sont entraînées par une irrésistible pente à l’unité, où les confédérations elles-mêmes sacrifient une plus grande part de leur liberté pour se donner un gouvernement plus fort, comme si elles ne pouvaient exister qu’à ce prix. Qu’allait devenir dans le siècle des grandes agglomérations une Espagne qui, après avoir perdu toutes ses conquêtes et la plupart de ses colonies, se déchirant de ses propres mains, se mettrait dans l’impossibilité de compter pour quelque chose et de persuader à l’Europe qu’elle avait encore une volonté ?

Quand on envisageait la mise en pratique de ce beau programme, on voyait les difficultés se multiplier. Allait-on ériger en états autonomes les quarante-neuf provinces dont se compose aujourd’hui la Péninsule, en les dotant chacune de deux chambres et d’un pouvoir exécutif ? Les fédéralistes reculaient devant cette extrémité ; ce monstre à quarante-neuf têtes épouvantait les plus robustes optimismes. Ou ferait-on revivre l’ancienne division historique du territoire, dont on retrouve un souvenir assez fidèle dans l’organisation des capitaineries-générales ? Comment croire que les chefs-lieux des provinces actuelles consentiraient d’abdiquer ? Qui osait se promettre que Malaga céderait à Grenade l’honneur de devenir la capitale du canton de la Haute-Andalousie, ou que dans la Basse-Andalousie Cadix renoncerait à faire valoir ses droits contre Séville ? S’imaginait-on que, dans la Vieille-Castille, Valladolid allait s’effacer humblement devant Burgos ? et que, si on groupait en un seul état les quatre provinces de la Galice, Pontevedra, Lugo, la Corogne feraient volontairement hommage de leurs prérogatives à Santiago ? Se représente-t-on la Suisse décidant que désormais les cantons de Vaud et de Genève ne formeront qu’un état ? Que répondrait Genève, si on lui demandait de n’être plus rien et d’accepter Lausanne pour le siège de son gouvernement ?

Les difficultés étaient telles que les honorables auteurs du projet de constitution qui a été présenté en juillet aux cortès, et dont elles ont prudemment ajourné la discussion, s’étaient sentis impuissans à les lever. Ils avaient partagé la Péninsule en treize états, et par