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dans chacune les tourmens dont on espérait se délivrer, et, comme on ne se corrige pas en se déplaçant, l’on se trouve seulement avoir, ajouté des remords aux regrets et des fautes aux souffrances. »

Adolphe aboutissant à cette conclusion, que le bonheur ne se trouve point en dehors du mariage, c’était assez pour indisposer Byron et lui faire prendre en grippe le volume. « Adolphe, écrit-il, contient quelques vérités du genre sombre, mais c’est là un ouvrage trop dissolvant pour devenir jamais populaire. je l’ai lu en Suisse, à la recommandation de Mme de Staël. » Byron niait que le bonheur soit possible dans le mariage, et il avait pour cela de bonnes raisons. Cette thèse d’ailleurs le passionnait, et il ne manquait pas une occasion d’y revenir. Auquel croire cependant de ces deux oracles, dont l’un dit oui et l’autre non ? Et si le bonheur n’existe ni dans le mariage ni en dehors, où le rencontrer ? La question, dès le commencement du siècle, était posée ; Mme de Staël en a fait le sujet de presque tous ses écrits. Ses traités de morale, comme ses romans, y reviennent sans cesse, et lorsqu’elle étudie les passions, c’est moins dans leurs relations avec le devoir que dans leurs rapports avec notre bonheur qu’elle les envisage. Le bonheur dans l’amour ! Delphine et Corinne n’ont point d’autre idéal. Que trouvons-nous chez les romanciers actuels qui n’ait été mis à l’ordre du temps par ces grands esprits de la première heure ? Ils ont tracé tous les programmes, agité toutes les solutions, ne nous laissant guère que des variantes, sinon des redites. Voyons-nous par exemple qu’on nous en ait beaucoup appris sur cette question du mariage dans la société moderne ? Impossible d’être heureux au dedans, nulle chance de bonheur au dehors, — dans la résignation comme dans la lutte, égal mécompte ! Et sur les révoltes de la passion proclamant la souveraineté de ses droits, sur cette incapacité particulière au génie d’accepter le train quelconque d’un ménage, quelles vérités nous a-t-on révélées qui ne soient contenues, non point en germe, mais en toute vigueur et maturité dans ces fameux romans que je viens de citer ? Nous avons dans Ellénore la femme passionnée et consciente, nous rencontrerons tout à l’heure la femme de génie, — celle qui, par l’esprit, le cœur, la volonté, le caractère, se mêle à toutes les grandes luttes de l’homme, aura aussi sa part de gloire. Être à la peine, c’est mériter d’être à la fête. La même femme dont nous venons de voir le martyre ira triompher au Capitole.

Corinne, comme Mignon, est une victime du mal d’amour, de ses ardeurs, de ses aspirations. Dans l’héroïne de Mme de Staël, l’Italie se personnifie pour la France, de même qu’elle se personnifie pour l’Allemagne dans la création de Goethe. Corinne est le dernier rejeton de cette antique race de Sibylles gémissantes et solitaires à travers l’histoire, et dont Michel-Ange a si magnifiquement entrevu,