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orateur bien disant pour la remercier et lui déclarer dans un langage fleuri qu’ils n’oublieraient jamais ce régal imprévu, ni celle qui l’avait ordonné.

Cependant, sur la foi des récits qui remplissaient les journaux espagnols et furent reproduits par la presse étrangère, l’Europe s’imagina que l’Internationale était omnipotente en Espagne et que, chose curieuse, elle avait recruté dans les populations des campagnes ses plus chauds partisans. Il n’était question que de lugareños pénétrant avec effraction dans les propriétés particulières, se partageant et s’adjugeant sans autre formalité le patrimoine d’autrui. Ces scènes fâcheuses ont été peu comprises et mal jugées. Les envahisseurs, qu’on prenait pour des novateurs audacieux, étaient des réactionnaires à outrance, trop attachés au culte des traditions.

L’ancien régime avait implanté en Espagne des habitudes socialistes et la coutume de l’usufruit commun, qu’il n’est pas facile de déraciner. En Estrémadure par exemple, dans la province de Badajoz, où se sont produits plusieurs attentats de ce genre, chaque pueblo, dès le temps de Ferdinand III et de la conquête chrétienne, avait son communal, domaine indivis où chaque paysan pouvait mener paître son bétail. En vertu de la loi de désamortissement de 1859, tous ces biens communs ont été vendus et convertis en propriétés privées. Une foule d’abus se sont glissés dans ces actes d’aliénation, et ont fourni matière à de nombreuses plaintes, à des litiges encore pendans. Tel cacique, dont le ministère redoutait l’influence ou ménageait l’amitié, est soupçonné d’avoir payé le prix de 30 hectares et d’en avoir acquis 60. Le paysan dépossédé, qui n’admet pas qu’il y ait prescription contre la justice, persiste à regarder comme sienne cette terre qui lui a été ravie. Dès que l’occasion s’en présente, il appelle de la sentence qui l’expropria et il fait valoir par la force son vieux droit d’usufruit. L’Estrémadure a donné le jour à Fernand Cortez et à Pizarre ; elle produit les plus taciturnes et les plus obstinés peut-être des Espagnols. Bien habiles seraient les caciques, si, leur acte de propriété à la main, ils faisaient entendre » raison à ces entêtemens de bergers et de moutons, qui secouent leurs oreilles et invoquent la coutume de leurs ancêtres.

Des faits analogues se sont passés en Andalousie, mais l’explication en est un peu différente. Cette grasse province est un pays de grande propriété, et jadis dans la Péninsule la grande propriété était infiniment hospitalière, — il semblait qu’elle achetât le droit d’exister par ses libéralités et par ses complaisances. Elle était en quelque sorte grevée d’une servitude volontaire. La moisson faite, elle passait dans le domaine public ; chacun était libre d’y entrer, d’y glaner, d’y picorer, d’y chercher sa pâture. Elle appartenait à