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agréeraient sans doute aux populations lasses d’une guerre qui les épuise et les ruine ; mais elles risqueraient d’être mal reçues par les chefs, qui, s’occupant beaucoup de ce qui se passe de l’autre côté des Pyrénées, se plaisent à croire qu’avant peu certaines connivences secrètes se changeront en sympathies déclarées et agissantes. Les cabecillas ne sont pas toujours infaillibles ; si l’événement trompe leurs conjectures, l’insurrection carliste pourra durer quelque temps encore, mais ses jours sont comptés.


III

Pendant que le gouvernement provisoire combattait péniblement don Carlos, les intransigens de la république, qui l’accusaient de modérantisme, lui donnaient encore plus à faire. Ambitieux sans principes et sans vergogne, pêcheurs en eau trouble, fanatiques de bonne foi, simples d’esprit qui se paient de mots creux, fainéans dont l’imagination travaille pendant que leurs doigts se reposent et pour qui l’émeute est une fête, le désordre un spectacle, volontaires enchantés de quitter le rabot ou la ripe pour s’en aller à la parade, amoureux de leur fusil tant qu’on ne leur demandait pas de s’en servir contre les Basques et les Navarrais, orateurs de carrefour qui interpellent l’univers du haut d’une borne, déclassés et faméliques de toute espèce, qui estiment que le premier devoir d’un gouvernement bien ordonné est de leur assurer leurs franches lippées, toute cette cohue tenait le haut du pavé dans les capitales de province aussi bien qu’à Madrid. Si la royauté n’a jamais eu de pires ennemis que les royalistes, la république n’est jamais compromise que par les siens. Ceux-ci faisaient merveille, poussant jusqu’à ses dernières limites le dévergondage de la parole et de la plume. Leurs journaux publiaient des manifestes incendiaires et proclamaient l’anarchie comme le dernier mot de l’esprit humain ; leurs clubs tonnaient contre tout ce qui existe. Raton s’échauffait, criait, gesticulait ; Bertrand, l’encourageant sous cape, observait d’un œil attentif ses mouvemens et les marrons.

Bien que le socialisme, pendant quelques mois, ait paru le maître de la Péninsule, on peut assurer qu’il y est moins redoutable qu’en Allemagne par exemple ou en Angleterre. L’Espagnol a peu de besoins ; sa sobriété proverbiale a fait dire, il y a longtemps déjà qu’il peut vivre huit jours du dîner d’un Allemand. Nous avons parlé de sa disposition naturelle à s’accommoder aux circonstances, de sa gaîté facile qui a découvert le secret du bonheur économique. L’enthousiasme de la haine et de la jalousie aura toujours quelque chose