Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dispersant pour se rallier ailleurs, possédant enfin toutes les qualités nécessaires à cette guerre de chicane et de partisans, où l’Espagnol a toujours excellé. Le pays s’y prête ; il est âpre, coupé, propre aux embuscades et aux surprises, plein de difficultés pour l’assaillant, qui ne peut opérer par détachemens sans s’exposer, ni par masses sans être inquiet pour ses subsistances.

Cependant, si le carlisme a conservé ses troupes, il s’est affaibli par la perte de quelques-uns de ses chefs les plus marquans. L’esprit du siècle est un gaz subtil qui pénètre tout, et l’élite du parti n’a pu résister à cette maligne influence. L’un des héros de la guerre de sept ans, l’illustre général Cabrera, dont le nom seul eût valu une armée au prétendant, l’ayant trouvé sourd à ses conseils, s’est vu contraint de lui refuser ses services. Tous les jours, les gazettes légitimistes annonçaient son entrée en campagne, et jusqu’à ce jour il n’a point paru. L’Angleterre, où un heureux mariage lui a fait choisir sa retraite, a ouvert l’esprit du vieux cabecilla à beaucoup de choses qui lui étaient peu familières. Comme on l’a dit, « le loup-cervier est devenu un homme de son temps, » et il soutient ses nouveaux principes avec cette opiniâtreté qui est propre aux cervelles de loups, quand ils se mettent à penser. Il aurait voulu qu’abjurant ses préjugés le carlisme offrît à l’Espagne déchirée par l’anarchie un gouvernement d’ordre, capable de rallier toutes les fractions du parti conservateur, et qu’à cet effet il protestât hautement de son respect pour les conquêtes légitimes de la révolution, particulièrement pour la liberté religieuse. À ces conditions seulement, on pouvait regagner les esprits et pratiquer des intelligences utiles dans l’armée. Le comte de Morella a loyalement averti son roi, qui s’est laissé circonvenir et ne l’a point écouté. Il a laissé la place à l’intrigue, s’est retiré sous sa tente ; il n’est pas encore prouvé qu’il en sorte.

Parmi les fidèles serviteurs qu’a gardés don Carlos, il est des hommes de cœur et d’intelligence qui gémissent tout bas de ses fautes. Lui-même ne s’appartient plus, l’église dispose de ses volontés, et il annonce à l’Espagne que, s’il désire remonter sur le trône, c’est pour lui rendre son Dieu, celui d’autrefois, celui dont les regards se reposaient avec délices sur le san-benito d’un hérétique fouetté et repentant. On ne se donne pas la peine de déguiser à l’Espagne les desseins qu’on a sur elle. Quand certaines gens parlent à la France, ils recourent aux précautions oratoires, aux subtilités enseignées par la casuistique, aux réticences, aux équivoques, aux dénégations qui ne nient rien, aux promesses qui n’engagent point. S’ils font au pays de Voltaire et de Mirabeau l’honneur de lui mentir, ils infligent à l’Espagne l’affront de leur outrageuse