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présidait. On convint que tous les portefeuilles feraient retour aux républicains, on fixa une date prochaine pour l’élection de cortès constituantes, et on sauva les apparences en stipulant que l’assemblée qui avait ainsi passé condamnation ne se dissoudrait pas avant d’avoir voté quelques projets de lois. C’était accorder à la garnison les honneurs de la guerre, mais personne ne se dissimulait qu’elle avait capitulé. M. Figueras se chargea de verser un peu de baume sur les blessures du vaincu par quelques complimens courtois, quelques promesses vagues, genre d’éloquence où excelle ce grand maître en artifices oratoires.

Ce dénoûment divertit et charma toute l’Espagne. Les intransigens firent éclater bruyamment leur joie, ils ne conçoivent pas le bonheur sans bruit. Pour être moins tumultueuse, l’allégresse des conservateurs ne fut pas moins vive, tant la conduite trouble des radicaux et leurs menées équivoques les avaient rendus impopulaires. Un écrivain du XVIIIe siècle, qui ne ménageait pas toujours ses termes, a flétri « ces petits brouillons, ces petits intrigans, à qui leurs petits talens, qui les font parvenir aux grandes places, ne servent qu’à montrer au public leur ineptie aussitôt qu’ils y sont parvenus. » Une sentence si dure ne pouvait s’appliquer aux radicaux, dont plusieurs avaient montré de grands talens, dignes des premières places ; mais à quoi paraissaient-ils les avoir employés ? À renverser le trône, dans l’espérance de confisquer la république à leur profit. L’Espagne n’admettait pas que des hommes qui, le 11 février à cinq heures, étaient les ministres d’un roi, trois heures plus tard fussent les ministres d’une république. Elle applaudit à leur déconvenue, comme bat des mains un parterre qui voit à la fin d’une troisième journée un habile se laisser prendre à son propre panneau. Il semblait que ce fût un acte de justice, l’un de ces cas trop rares où la destinée se charge de prêter main-forte à la morale et de démontrer que, s’il est utile pour réussir de n’avoir pas de principes, cela n’est pas toujours suffisant.

Toutefois cet événement, qui fut regardé comme une victoire du parti républicain, était pour la république un danger et une disgrâce ; les esprits modérés et judicieux en sentirent sur l’heure les conséquences. La maladie des démocrates en tout pays est l’esprit de coterie ou d’intolérance ; ils se flattent de pouvoir être impunément exclusifs ; ils se plaisent à multiplier les difficultés avant d’admettre un catéchumène dans la communion des fidèles, quand il leur importe au contraire plus qu’à tout autre parti d’acquérir partout des adhérens. La république n’étant une vérité que si elle repose sur la souveraineté nationale, on ne peut concevoir qu’elle devienne la propriété, d’une secte qui, pour justifier son privilège,