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impatiences de victoire d’un autre côté. La première condition est de ne pas perdre son sang-froid devant des complications qu’un peu de prudence et de décision doit facilement dénouer.

Il y a deux dangers dont il faut se garder. Que les esprits violens et absolus, disposés à profiter de tout, se hâtent de saisir cette occasion pour réclamer la dissolution de l’assemblée, ils sont dans leur rôle. L’assemblée, quant à elle, doit rester à son poste, elle ne peut à ce point se manquer à elle-même, manquer au pays dans un tel moment. Ce serait une véritable abdication, une sorte de faillite de la puissance parlementaire. Ce serait tout simplement dire au pays : Vous nous avez nommés pour exercer votre souveraineté, pour réparer les désastres de la guerre et pour vous donner une organisation publique, si nous le pouvions. Nous ne pouvons plus rien, c’est à vous de vous tirer d’affaire comme vous le pourrez ! — Franchement, peut-on admettre qu’une assemblée avoue ainsi son impuissance, presque son indignité devant une nation ? Ce serait l’acte le plus meurtrier pour le régime parlementaire, qui resterait frappé sur le coup d’un discrédit peut-être irrémédiable ; mais alors que peut-on faire ? Il n’y a plus en vérité à poursuivre des combinaisons merveilleuses. On vient d’échouer dans une tentative de restauration monarchique ; on ne veut pas sans doute livrer la république à ceux qui s’appellent les vrais républicains, aux radicaux, qui nous rouvriraient au milieu d’agitations nouvelles un chemin vers l’empire. Dès lors la question se simplifie et se dégage tout naturellement des circonstances. Il n’y a plus qu’à revenir à une politique dont on n’aurait pas dû se détourner, qui a son programme dans ces lois constitutionnelles que M. Thiers présentait, il y a six mois, et qui restent à l’ordre du jour des plus prochaines délibérations de l’assemblée. Ces lois, si l’on s’en souvient, créent une seconde chambre, réforment le régime électoral et organisent le pouvoir exécutif. Que toutes les opinions sensées et modérées de l’assemblée, que le centre droit et le centre gauche, rapprochés par le patriotisme, se mettent à l’œuvre et préparent ces lois en leur donnant le caractère conservateur qu’elles doivent avoir, en préservant le suffrage universel de ses entraînemens, en constituant un vrai et sérieux gouvernement. Avec cela, si on le veut, si on ne s’abandonne pas, on peut vivre, garantir la sécurité du lendemain, et la France peut encore une fois de plus échapper à toutes les extrémités dont on la menace ; elle peut librement déployer son activité féconde sans avoir besoin de ceux qui prétendent la sauver malgré elle, comme aussi sans craindre ceux qui la perdraient plus sûrement encore malgré elle.

CH. DE MAZADE.