Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on aurait voulu faire de lui « le roi légitime de la révolution. » Que pourrait-il donc être dans tous les cas, si ce n’est le « roi légitime » d’une société transformée par une révolution ? Est-ce qu’il est possible d’abroger les événemens, le passé, les mœurs et les intérêts nouveaux, mille choses irrévocables ? Il y a plus de soixante-quinze ans, dans un moment où l’on parlait d’une restauration possible pour la France, Portalis l’ancien écrivait sagement à Mallet du Pan : « La fierté des rois peut répugner à se trouver sous la dépendance de certains hommes, mais leur sagesse les invite à ne pas méconnaître la dépendance des choses, dépendance à laquelle aucune puissance humaine ne peut se soustraire… L’art de gouverner est subordonné aux changemens qui arrivent chez un peuple et à la situation dans laquelle il se trouve. » Et à cette époque aussi il y avait autour du roi Louis XVIII exilé des hommes qui ne voulaient pas qu’on demandât au prince des « engagemens explicites, » qui prétendaient qu’on avait une garantie suffisante dans « le caractère sage du roi, » dans et son expérience, ses lumières, son éloignement pour tout arbitraire, sa connaissance de l’état des esprits. » Vingt ans après, Louis XVIII ne dédaignait pas d’en venir à ces « engagemens explicites » qu’on lui demandait. Soixante ans de plus sont passés, et ces « engagemens explicites » sont de trop, ils sont déclarés contraires à l’honneur du prince ! Tout ce qu’on a désormais à offrir, c’est le « principe » du roi, c’est le caractère du roi ! Le temps, à ce qu’il paraît, marche pour tout le monde, excepté pour les princes, à qui il n’apporte ni lumières ni enseignemens.

Disons le mot de cette situation étrange que nous traversons, où se heurtent tant d’idées et de passions contraires, où les impossibilités dépassent ou découragent toutes les bonnes volontés. La vérité est qu’entre la royauté telle que M. le comte de Chambord n’a cessé de la comprendre et la seule monarchie qui eût été encore possible en France il y a un abîme. Ce que le pays croit, le prince ne le croit pas. Le seul drapeau qui apparaisse à la nation comme le symbole de ses gloires et de ses malheurs est renié par le représentant de la royauté traditionnelle. Pour M. le comte de Chambord, la monarchie est une institution détroit antérieur et indépendant ; pour la France, l’unique monarchie admissible est celle qui émane de la souveraineté nationale, qui repose sur des garanties inviolables, où la royauté apparaît comme la régulatrice des mouvemens libres du pays. En un mot, de toute façon et sous toutes les formes, l’incompatibilité est absolue, inconciliable. Elle éclate à coup sûr en traits saisissans dans cette lettre d’hier, où M. le comte de Chambord se révèle tout entier, par laquelle il a voulu tout simplement peut-être se dégager d’une entreprise sans issue ; mais, il ne faut pas s’y méprendre, l’incompatibilité était tout aussi réelle avant la lettre, puisqu’elle était dans les pensées ; elle se laissait voir dans toutes