Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

risquer des batailles parlementaires où la dignité personnelle est souvent plus engagée qu’il ne faudrait ; il n’avait pas à se retirer, il n’avait qu’à rester, et on aurait certainement hésité à lui enlever par une sorte de coup d’état un pouvoir conféré par l’assemblée sans terme fixe, illustré depuis deux ans par d’éclatans services. Quoi qu’il en soit, la retraite volontaire de M. Thiers, s’accomplissant dans ces circonstances, ne faisait pas évidemment les affaires de la république, elle était comme le dernier mot d’une évolution poursuivie depuis quelques mois déjà précipitée par l’élection de Paris, par cette élection placée entre la démission du président de l’assemblée et la démission du chef du gouvernement.

Sans doute rien n’était changé dans les « institutions existantes, » comme on le disait. Le maréchal de Mac-Mahon allait exercer le pouvoir dans les conditions où M. Thiers lui-même l’avait exercé, et le lendemain du 24 mai le rétablissement d’une royauté n’était pas plus facile que la veille, puisqu’il y avait toujours deux monarchies, deux dynasties distinctes, représentant des principes, des intérêts différens. Ce n’était pas moins une situation absolument nouvelle, placée sous la garde du parti conservateur, maître désormais du gouvernement, et le jour où M. le comte de Paris, se rendant spontanément à Frohsdorf, allait mettre fin à des divisions de famille qui avaient été jusque-là du moins en apparence, le principal obstacle à une restauration de la royauté, il est clair que cette restauration ne devait plus rencontrer d’aussi insurmontables difficultés dans les conditions de la politique intérieure de la France.

C’est là ce qu’on pourrait appeler la génération de la crise actuelle. Elle est née, cette crise, d’une série de circonstances, — la démission de M. Grévy, l’élection de Paris, la retraite de M. Thiers, — qui ont été autant d’échecs pour la république, et de ce fait nouveau, — le voyage de M. le comte de Paris à Frohsdorf, — qui a ramené les esprits à cette idée de la possibilité d’une restauration de la monarchie par la réconciliation dynastique. Qu’on y prenne bien garde cependant : on n’avait pas fait beaucoup de chemin, on avait levé un obstacle, supprimé une difficulté, la monarchie était peut-être devenue un peu moins impossible par la fusion des dynasties ; la question se transportait seulement alors sur un autre terrain. Il ne s’agissait plus maintenant des droits et des affaires des princes ; il s’agissait de savoir ce que représentait cette monarchie désormais unique dont on préméditait la restauration, ce qu’elle prétendait être, comment on croyait pouvoir la rétablir, quel accueil elle allait rencontrer dans le pays, et c’est ici justement qu’on entre dans ce tourbillon où se croisent et se succèdent les malentendus, les méprises, les illusions. Bref, comme si la restauration d’une royauté exilée depuis longtemps n’était pas une entreprise assez difficile par elle-même, on