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Le chancelier laisse passer presque sans intervenir la délibération sur le projet de loi qui règle l’introduction de la constitution allemande dans l’Alsace-Lorraine : c’est le troisième article de l’ordre du jour. Comment rendre l’impression funèbre que ces débats font sur un Français ? Les orateurs n’y mettent point de passion : ils exposent toutes les raisons qu’ils ont de craindre des élections hostiles ; ils font l’exact tableau des sentimens qui règnent dans les provinces annexées ; ils ne se laissent égarer par aucune illusion ; ils ne mentent point. L’un d’eux, M. Lœve, dit simplement la vérité sur l’annexion. « Quand vous vous êtes décidés à l’annexion de l’Alsace-Lorraine, vous saviez bien que vous auriez affaire à une population dont la majorité protestait contre toute séparation d’avec la France : aussi ne l’avez-vous pas prise pour ses beaux yeux… (Rires bruyans.) Vous l’avez prise, parce qu’il vous fallait porter notre frontière aux Vosges. » Du même ton, ils énumèrent toutes les raisons qu’ils ont d’espérer un changement dans le cœur de leurs victimes : ils comptent sur le temps, sur leur patience, sur l’infirmité de la nature humaine, qui ne se plaît pas aux regrets éternels. Ce calme même, ce calme surtout m’exaspère. Heureusement une voix s’élève pour protester ; mais qu’elle est mélancolique ! C’est celle du député danois. « Il est tout naturel que je prenne la parole sur cette question, dit-il, car personne mieux que moi ne saurait rendre les sentimens des Alsaciens-Lorrains. Je sais ce que nous avons souffert, mes compatriotes et moi, quels furent nos soucis et notre deuil quand nous apprîmes que le traité de Vienne nous cédait aux puissances alliées comme prix de la victoire ! » — « A la question ! » crie-t-on de toutes parts ! — « Je crois, dit alors M. Simson, que l’orateur n’est pas tout à fait dans la question ; mais la chambre ferait bien de permettre à M. le député de dire à cette occasion ce qu’il a sur le cœur ! » C’est le style de la condoléance prussienne ! Ainsi parle le roi Guillaume à tous les annexés quand il les félicite de la fidélité qu’ils gardent aux choses du passé, et qu’il prétend être le gage de leur fidélité future à sa royale maison. M. Simson permettra sans doute l’an prochain aux députés d’Alsace de dire aussi « ce qu’ils ont sur le cœur ; » au besoin même, il ajoutera que leur attachement à leur patrie et leur profonde douleur prouvent que ce cœur est demeuré allemand.

La quiétude avec laquelle le Reichstag vient de délibérer sur le sort de l’Alsace est tout à coup troublée par un long incident, comme il ne s’en est pas encore produit dans ce parlement. On allait discuter un projet de loi sur la presse présenté par M. Windthorst, et celui-ci avait interrogé le chancelier sur un projet de même nature, mais de caractère tout différent, préparé dans le sein du