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n’ont-ils point répudié toutes les idées qui leur furent chères. Ils disent volontiers qu’ils remplissent dans le parlement d’Allemagne le rôle que joue dans celui d’Angleterre l’opposition de sa majesté la reine ; ils font une opposition modérée. Toute mesure illibérale est assurée de les trouver pour adversaires. Ils s’accommodent du militarisme, cependant ils essaient de le contenir. Jadis ils étaient partisans d’une armée citoyenne (Bürgerwehr), et M. Duncker, dont le vois la tête grise, à longs cheveux, se détacher au milieu du groupe progressiste, était en 1848 capitaine de la garde nationale de Berlin ; on n’oublie pas ces souvenirs-là Enfin la gauche compte de sincères amis de la cause populaire ; on s’y préoccupe plus que dans toute autre partie de l’assemblée, des questions sociales ; M. Schulze- Delïtzseh en est membre, et le sociatisme de la chaire y est représenté. Dans les élections, le progressiste compte sur les voix des ouvriers non révolutionnaires qui sont membres des associations Hirsch et Duncker ; il ne dédaigne pas celles des autres quand elles se reportent sur lui au second tour de scrutin, faute d’avoir pu faire triompher un démocrate-socialiste. Cette alliance entraîne mainte obligation que l’on devine : elle force le député qui en tire profit à raffermir son attitude en face du pouvoir ; elle empêche les progressistes de trop incliner vers le parti national-libéral. Il est remarquable que plus on approche des élections, plus s’élargit l’intervalle qui séparait ces deux voisins ; leurs journaux se querellent, et la nuance qui les distinguait est en train de devenir une couleur.

Le parti national-libéral compte à peu près 120 membres : il est le plus considérable du Reichstag, où il règne depuis la seconde travée de gauche jusqu’au couloir du centre. Presque toutes les professions y sont représentées : en première ligne, les fonctionnaires, puis les juristes, avocats, avoués, notaires ; peu de propriétaires fonciers, mais des industriels ou de riches commerçans, des banquiers, quelques Israélites de marque, comme M. Bamberger, dont le lucide esprit est en train de débrouiller la question monétaire, comme M. Lasker, qui, jeune encore, est pourtant un vieux parlementaire. Il prépare une collection de ses discours ; or il en a prononcé, sur toutes les questions politiques et économiques, de quoi remplir plusieurs volumes. Petit, noir, les cheveux abondans et frisés, la figure commune, il n’a point l’air d’un chef de parti. Un Allemand, derrière moi, le compare à un marchand d’habits ; c’est une impertinence que vaut probablement à M. Lasker sa qualité d’israélite, car ses coreligionnaires sont en Allemagne l’objet d’une haine qui sent le moyen âge. Pour ne point dire qu’on leur envie leur richesse, leur luxe, le quartier des Tilleuls, dont ils sont à peu