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comptait 29 membres, à la fin de la seconde 22. Encore ne voit-on pas pourquoi l’on y range MM. Bebel et Schraps. Ils appartiennent à un parti très tranché, car ils sont démocrates-socialistes ; seulement M. Bebel est sous les verrous, et la sauvagerie de M. Schraps s’explique assez d’elle-même : il est seul. Viennent les prochaines élections, le suffrage universel lui enverra de la compagnie ; il faudra bien ajouter une couleur à la gamme, et ce sera, si l’on consulte le goût des intéressés, le sang de bœuf ; ils en barbouillent leurs affiches et les tentures de leurs clubs.

Le vermillon est réservé aux progressistes, qui occupent la première travée de gauche, et empiètent un peu sur la seconde. Ils sont une quarantaine, de professions diverses, mais le juriste et le professeur dominent dans le groupe, où l’on compte peu d’industriels et de propriétaires. Beaucoup sont des vétérans de la politique allemande : ils ont siégé en 1848 et 1849 dans les assemblées des divers états ou dans le parlement national de Francfort. Plusieurs étaient parmi les violens : compromis dans les insurrections, impliqués dans des procès de haute trahison, ils ont été emprisonnés ou bien se sont réfugiés à l’étranger jusqu’à l’amnistie accordée en 1861. L’âge et les événemens les ont calmés. Il ne se pouvait faire en effet que l’unification de l’Allemagne ne flattât leur patriotisme et la chute des petits princes leurs instincts démocratiques ; puis ils se sont si complètement trompés sur le compte de M. de Bismarck, qu’ils ont combattu, au temps du conflit, comme s’il n’eût été qu’un misérable aventurier ! L’homme d’état leur a montré qu’avec une intrigue diplomatique bien menée, un bon piège où faire tomber l’Autriche, une bonne armée pour l’y accabler, on obtient d’autres succès qu’avec des fêtes de gymnastique ou de tir, l’exhibition des couleurs allemandes et les refrains patriotiques. Ces jeux de la politique ébranlent la foi aux principes comme les jeux de bourse dégoûtent du travail honnête. Les progressistes ont donc fait des concessions. Ils ne sont pas républicains : s’il reste d’ailleurs des républicains en Allemagne, ils ne comptent pas comme parti. M. Sonneman, député de Francfort, qui a protesté en termes si énergiques contre l’annexion de l’Alsace-Lorraine, est républicain, mais il figure parmi les sauvages, comme M. Schraps ; tout au plus s’unit-il de temps en temps à celui-ci pour demander avec lui, au début de chaque session, que le Reichstag veuille bien exiger l’élargissement de M. Bebel, ce à quoi le Reichstag ne condescend jamais. C’est un malheur pour l’Europe que cette opinion soit réduite à cette faiblesse, car les républicains d’Allemagne sont des esprits vraiment humains, qui défendent la liberté aussi bien au dehors contre la conquête qu’au dedans contre le despotisme. Au moins les progressistes