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non-seulement de garder la paix, mais de garder dans la guerre une certaine mesure d’humanité et de montrer au monde ce que c’est que cette chose, la plus belle après la paix, une victoire civilisée.

L’humanité restera ce qu’elle est au fond malgré tous les perfectionnemens que la science et l’industrie apporteront à la surface du globe qu’elle habite. — Est-ce un motif pour se décourager ? A dieu ne plaise ! L’homme sera toujours l’homme. Ce sera la passion, c’est-à-dire l’amour et la haine ; ce sera la raison avec la misère incurable de ses doutes ; ce sera la liberté avec ses épreuves, ses grandeurs et ses défaillances. — Et pourtant, si nous ne pouvons changer le cœur de l’homme et ses penchans, la pensée de l’homme et ses lois, nous pouvons modifier, dans une certaine mesure et sans tomber dans la chimère, non-seulement le milieu physique, mais le milieu moral où ces élémens vivent et se développent. Par nos exemples, par nos doctrines, il dépend de nous d’élever le niveau des âmes. Bien des fois encore l’œuvre sera menacée par les catastrophes de l’histoire, par les scandales de la force ; bien des fois, on croira que la civilisation morale va périr. Qu’importe ? Renouons d’une main infatigable la trame sacrée, à chaque instant rompue par la violence. Quoi qu’il arrive, travaillons sans relâche à l’expansion, au progrès de cette conscience du genre humain, que nommait déjà Tacite, mais qui ne s’est vraiment reconnue elle-même que dans le monde moderne. Supérieure aux victoires passagères de la violence ou de la ruse, elle s’en venge en les jugeant, proclame à travers l’histoire le droit, même quand il est vaincu ; son triomphe sera de persuader à l’humanité que c’est la force qui a tort, que c’est la justice qui a raison. Voilà le vrai progrès, celui qui ne trompe pas. Pour y travailler, pour cela seul, c’est la peine de vivre.


E. CARO.