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fatalité physique, crée le droit ; le droit de chacun aboutit au même résultat par une autre route que le besoin : l’utilité impérative, la nécessité d’un système de garanties. De là l’institution politique ; de là ses formes multiples, variées, croissant en efficacité, à mesure que la raison générale s’élève, que la conscience humaine se développe que la vie économique et le régime industriel se compliquent.

Dès l’origine, comme le montre très bien M. Bagehot, le progrès le plus simple et le plus élémentaire de l’homme a eu besoin pour se développer de la coopération des hommes. Ce qu’un homme et une famille isolée peuvent inventer pour eux-mêmes est extrêmement limité. De plus ce qu’ils peuvent produire ne leur est pas assuré : ils ne peuvent en jouir avec sécurité. Aussi loin qu’on pénètre dans les profondeurs de la primitive histoire, on ne trouve nulle part trace de progrès isolés. La plus grossière ébauche de société, la tribu la plus basse, le gouvernement le plus faible, ont eu une telle supériorité sur l’homme seul que celui-ci a dû cesser bien vite de vivre dans la solitude. Le premier principe constaté par l’histoire des âges les plus lointains, c’est donc que l’homme n’a pu faire de progrès que dans des « groupes coopératifs. » Ces groupes eux-mêmes, tribus ou nations, n’ont pu triompher dans la lutte pour l’existence qu’à la condition d’une solide alliance de tous leurs membres et d’un commandement énergique qui leur permît de résister aux violences du dehors. La coopération établie par les plus forts liens, l’union sentie de cœur et d’esprit, une discipline obéie, leur ont assuré, avec la victoire sur les groupes voisins, la jouissance du fruit de leur travail. L’autorité incontestée d’un chef, l’autorité non moins forte de la coutume, la nécessite de l’isolement pour les sociétés primitives qui n’auraient pas résiste à l’exemple dissolvant des mœurs ou des institutions étrangères, voilà à quel prix se constituèrent les plus indispensables systèmes de garanties par lesquels fut assuré le premier fonds social, le patrimoine naissant de la civilisation.

L’instinct des âges primitifs fut pour leurs besoins un guide sûr Le plus impérieux fut d’abord de se protéger contre l’oppression des tribus voisines au moyen d’un pouvoir fort, mandataire des intérêts du groupe tout entier ; mais dans la suite un autre ordre de besoins se révéla. Ce second âge est celui que M. Bagehot appelle « l’âge de la discussion. » Heureux les peuples qui ont pu y parvenir sans dépasser la mesure du bienfait que cet élément nouveau introduit dans l’histoire ! C’est le moment du libre arbitre, un ressort puissant du progrès, pourvu qu’il ne s exagère pas jusqu’à dissoudre le groupe coopératif. C’est l’heure où tombe la tyrannie de la coutume, qui devient si facilement l’ennemie du