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allée contre la force des choses. On reconnaît que, l’or et l’argent étant des marchandises, il ne peut pas y avoir de rapport fixe entre eux ; mais on répond qu’en fait les variations qui ont eu lieu depuis l’établissement de cette loi ont été insignifiantes, et que les deux métaux se retrouvent toujours à peu près au taux où ils étaient en l’an XI. C’est une grosse erreur. Il ne sera pas nécessaire de remonter bien loin pour le prouver. Entre l’année 1859, où l’argent, suivant les mercuriales anglaises, valait 62 shillings 1/2 l’once, et le moment actuel, où il vaut à peine 59 shillings, il y a une différence de plus de 6 pour 100. Est-ce donc là une variation insignifiante ? Et, nous le répétons, personne n’oserait prédire que la dépréciation de l’argent n’ira pas beaucoup plus loin. Il faut se rappeler qu’après la découverte de l’Amérique ce métal perdit 25 pour 100 de sa valeur relative par rapport à l’or. Et pourtant à cette époque il était très employé, c’était la monnaie principale de tous les pays. Que se passera-t-il lorsqu’il ne figurera plus dans bien des états que comme monnaie d’appoint, et qu’on en verra la production s’accroître chaque année, — ce qui a lieu déjà depuis dix ou douze ans ? Le rapport entre les deux métaux peut s’altérer encore sensiblement.

On ne se tient pas pour battu. — Qu’importe, continue-t-on, que le rapport de 15 1/2 à 1 de la loi de germinal soit un peu arbitraire ? C’est le fait de la plupart des lois d’établir des rapports arbitraires jusqu’à ce que l’expérience vienne les réformer. On pourrait déjà répondre que pour la loi de germinal cette expérience est faite ; elle a toujours abouti à nous donner non pas le double étalon, mais l’étalon alternatif, c’est-à-dire le plus déprécié, — de sorte que sous l’influence de cette loi nous restons soumis à une double dépréciation, d’abord à celle qui résulte du plus ou moins d’abondance des métaux précieux en général, ensuite à celle que fait naître le changement de rapport d’un métal à l’autre. Il serait temps d’aviser à quelque chose de mieux ; mais c’est un pur sophisme de comparer la loi qui fixe la valeur de deux métaux aux autres lois qui règlent les relations des citoyens entre eux. Assurément il y a quelquefois de l’arbitraire et de l’injustice dans ces autres lois ; le législateur qui les fait n’est pas infaillible, et il obéit souvent à des passions, surtout lorsqu’il s’agit d’actes politiques ; mais enfin il règle ce qu’il a le pouvoir de régler, tandis qu’en fixant un rapport de valeur entre deux métaux, il va, je le répète, contre la force des choses, et il peut s’apercevoir dès le premier jour qu’il fait une œuvre inutile. Sa loi ne sera pas observée ; l’or et l’argent conserveront un prix en dehors de la loi, et elle n’aura d’autre effet que d’apporter un trouble plus ou moins grand dans les affaires commerciales.