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commerçans du monde, de l’Angleterre et des États-Unis, et, là où elle ne circule pas comme monnaie principale, elle est encore reçue avec faveur. Il n’en est pas de même de l’argent : d’abord ce n’est pas une monnaie commode ; elle est très lourde pour la valeur qu’elle a, et s’use très vite ; de plus, on est en train de la répudier partout en Europe. Si l’on persiste en France à garder le double étalon, nous n’aurons bientôt plus que l’argent, et alors notre situation deviendra très embarrassante : on ne pourra l’envoyer au dehors qu’avec une perte sensible, et nous n’aurons plus d’or.

Mais, dira-t-on, dans les rapports avec l’étranger le règlement en espèces métalliques est une exception. Nous l’avons constaté nous-mêmes, qui venons de payer une indemnité énorme, sans avoir presque expédié de numéraire ; le règlement se fait à l’aide de traites, et quand on est comme nous généralement créditeur de l’étranger, que le change nous est favorable, on n’a pas à s’inquiéter beaucoup des moyens de paiement. Cela est vrai ; mais, si nous sommes créanciers, comment nous paiera-t-on nous-mêmes ? On nous paiera évidemment avec le métal qu’on pourra se procurer à meilleur marché. Les pays qui auront l’or comme monnaie principale se garderont bien de nous l’envoyer, ils nous expédieront de l’argent en gardant pour eux la prime dont jouit l’autre métal, et, si cette prime est de 5 à 6 pour 100, c’est autant que nous perdrons sur ce qui nous sera dû au dehors. Il y a plus, la possibilité qu’on aura de nous payer avec une monnaie dépréciée servira de base au règlement des échanges. On recevra nos exportations au prix de l’argent, et nous acquitterons les importations à celui de l’or, — ce qui veut dire que nous achèterons plus cher que nous ne vendrons. Élèvera-t-on les prix pour parer à cet inconvénient, alors on retombe dans ceux du papier-monnaie. Il pourra y avoir des variations subtiles dans la valeur d’un métal, qui ne sera plus accepté sur les principaux marchés ; personne ne saura sur quoi il doit compter, et au dedans comme au dehors les transactions en souffriront, on n’osera plus contracter à long terme dans la crainte de recevoir beaucoup moins qu’on n’avait espéré. On dit quelquefois que le papier-monnaie active la circulation, parce que, n’ayant pas de valeur par lui-même, on a hâte de s’en débarrasser et de l’échanger contre des marchandises ayant une valeur réelle. Cela est possible ; mais l’effet qui en résulte pour le commerce est nécessairement restreint, et se borne tout au plus aux transactions de détail, il ne peut compenser dans aucun cas l’obstacle que fait naître pour les affaires le défaut de fixité de l’instrument d’échange. Certes la France, l’Italie et l’Autriche n’ont pas eu leur mouvement commercial suspendu parce qu’elles avaient le papier-monnaie ; mais il est permis de croire qu’il