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Allemands en conservant le double étalon ; il n’y a pas eu plus de facilité, puisqu’on aurait aussi bien payé en lingots qu’en espèces monnayées, et quant à l’avantage, il a été moindre, puisque nous perdons les 2 pour 100 de la dépréciation de l’argent, que nous aurions gagnés autrement. Enfin notre réforme monétaire serait accomplie, et on ne serait plus en présence des dangers auxquels on s’expose en la différant.

Après avoir ainsi répondu à un argument de fait, voyons maintenant les raisons de principe qu’on persiste à donner en faveur du double étalon. Celle qui les domine toutes, c’est que l’argent, comme l’or, est fait pour servir de monnaie, qu’on ne peut pas lui ôter cette qualité sans nuire aux relations commerciales. On les compare tous deux au bois et au charbon, qui sont destinés l’un et l’autre à servir de combustible ; parce que le charbon donne plus de chaleur que le bois, dit-on, ce n’est pas un motif pour se passer de celui-ci. La comparaison peut paraître ingénieuse, mais elle n’est pas fondée. On comprend en effet que, plus il y a de choses pouvant servir au chauffage, plus il y a de gens qui en profitent, et de la concurrence de ces diverses choses résulte un abaissement de prix : c’est un avantage pour tout le monde. Il n’en est pas de même en ce qui concerne les métaux précieux. L’utilité n’est pas toujours en rapport avec la quantité. Si on les multiplie beaucoup, ils ne rendent pas plus de services pour cela ; ils se déprécient, et on est obligé de payer avec cinq ou six pièces de monnaie ce qui n’en exigeait que quatre auparavant. Le but à poursuivre avec les métaux précieux utilisés comme instrumens d’échange est non pas l’abaissement de prix, mais la fixité, et tout ce qui tend à altérer cette fixité est un inconvénient. Si l’or peut suffire aux besoins de la circulation, pourquoi y ajouter un autre métal qui serait sans utilité et ne pourrait que contribuer à la dépréciation du signe monétaire ?

On dit encore, dans le même ordre d’idées, que supprimer le double étalon, c’est conseiller à un homme qui a deux bras d’en couper un. C’est pousser bien loin le goût de la comparaison. L’homme qui a deux bras les garde, et il a raison : chaque bras lui rend des services particuliers, et tous deux réunis lui donnent une force qu’il n’aurait pas avec un seul ; mais quel service particulier rend l’argent en dehors de son rôle de monnaie d’appoint, si l’or peut suffire ? La réunion des deux métaux ne donne pas plus de force à l’instrument d’échange, en tant que force soit ici synonyme de fixité de valeur ; elle tend au contraire à l’affaiblir. Il ne faut donc pas s’arrêter à ces comparaisons de fantaisie, qui n’ont rien de sérieux, et examiner la question plus à fond.

On revient toujours à l’idée du parachute, et l’on prétend que les