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Cette enquête avait été précédée d’une circulaire adressée aux chambres de commerce et aux receveurs-généraux, qui, à une très grande majorité également, avaient émis un avis favorable à l’étalon d’or. Comment se fait-il donc qu’une question si complètement étudiée, pour laquelle on a épuisé tous les genres d’information, ne soit pas encore résolue ? Il est vrai qu’au moment où le conseil supérieur de l’agriculture et du commerce formulait ses conclusions, la guerre éclatait contre la Prusse. Tout naturellement on eut d’autres préoccupations d’une nature beaucoup plus grave, et la question monétaire fut abandonnée. On aurait dû la reprendre depuis la fin de la guerre ; on ne l’a pas fait, et nous nous sommes laissé devancer par les autres nations, qui se sont emparées de nos travaux et sont en train de réformer leur système monétaire à nos dépens. C’est d’abord l’Allemagne. En 1869, en traitant ici même la question de l’étalon monétaire pour la première fois, nous avions prédit que, si on ne se pressait pas en France, cette nation démonétiserait son argent avant nous, et que nous en éprouverions un grand préjudice. On ne prévoyait pas alors que nous lui en fournirions nous-mêmes les moyens avec notre rançon ; mais on pouvait supposer, en voyant la majorité des chambres de commerce d’outre-Rhin se prononcer à plusieurs reprises pour l’étalon d’or, que cette réforme ne tarderait pas à s’accomplir, elle ne dépendait plus que des circonstances et des ressources dont pourrait disposer le pays. Attendons, disaient alors les temporisateurs, ou plutôt ceux qui avaient le secret désir de conserver le double étalon ; il sera toujours temps d’agir quand on agira autour de nous. Ce moment est venu, et nous hésitons toujours. L’Allemagne a décrété l’adoption de l’étalon d’or ; seulement, comme elle a encore beaucoup d’argent, pour 600 millions de thalers, ou plus de 2 milliards 200 millions de francs, elle ne peut pas passer sans transition d’un métal à l’autre ; elle est obligée d’y mettre de la prudence. Elle a donc déclaré que, jusqu’à une époque indéterminée, l’argent continuerait à circuler et serait reçu dans les caisses publiques. C’est le système du double étalon substitué momentanément à celui d’argent, qui régnait exclusivement au-delà du Rhin. Cependant, comme les Allemands sont devenus gens pratiques, surtout ceux qui dirigent aujourd’hui les destinées de ce pays, c’est-à-dire les Prussiens, on peut être sûr que le système provisoire ne durera pas longtemps. Les ateliers monétaires sont en pleine activité ; déjà au mois d’août dernier ils avaient frappé pour plus de 1 milliard de la nouvelle monnaie d’or. Elle n’est pas encore très répandue dans ; la circulation ; on la retient dans les caisses de l’état ou dans celles des grands établissemens publics. Cela est nécessaire, car, si on la laissait circuler, comme