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air. Le premier printemps ou la fin de l’hiver est le plus triste et le plus désagréable moment de l’année. Au lieu de l’herbe verte, c’est une mer de boue ; au lieu des parfums de la campagne, c’est la puanteur du dégel. Il y a comme une décomposition et une corruption de la nature avant sa résurrection annuelle ; mais combien celle-ci est saisissante, combien elle est attendue et fêtée après les longs mois d’hiver ! Rien dans nos climats ne donne l’idée d’un pareil rajeunissement. Le printemps rend la vie à la terre et à la mer à la fois ; après cent cinquante ou deux cents jours de neige, il fait enfin reparaître la terre verte, qui avait absolument disparu ; il creuse de nouveau les rivières, les lacs, et les golfes, il les crée à neuf pour ainsi dire. C’est tout un élément, c’est le monde liquide tout entier, auquel le printemps rend comme par enchantement l’existence. Lorsque depuis l’automne il n’est tombé du ciel que de la neige, les premières pluies elles-mêmes font une impression de surprise qui n’est pas sans plaisir ni sans analogie avec celle que donnent dans le midi les premières gouttes d’eau après de longues semaines de chaleur ou de sécheresse. Aussi les enfans les saluent-ils et leur souhaitent-ils la bienvenue dans des chants traditionnels. Avec les rivières et tout le monde des eaux renaissent les feuilles et les fleurs, précédées des oiseaux, qui s’étaient réfugiés dans des climats plus doux et dont un naïf calendrier populaire annonce jour par jour le retour ; l’alouette, la grolle et l’hirondelle, qui, selon la légende russe, s’en revient du paradis et en ramène avec elle la chaleur. La nature sous toutes ses formes paraît d’autant plus vivante et plus jeune que plus profonde avait paru sa mort.

L’homme accueille ce renouvellement de toutes choses avec une joie qu’on ne peut concevoir ailleurs. Les paysans, dans leurs vesnyanki ou chants du printemps, célèbrent avec une naïve poésie le départ de l’hiver et le retour du printemps. Montant sur une colline ou sur leurs toits pour le saluer de loin à son arrivée, ils chantent dès le mois de mars : « Viens, ô printemps, beau printemps, viens avec la joie, viens avec du lin élevé et du blé abondant. » Dans plusieurs pays, ils l’appellent d’avance avec des formules et des rites d’origine païenne ; ailleurs les fêtes pour la résurrection de la nature se confondent avec celles pour la résurrection du Christ, comme si l’une était le type ou le symbole de l’autre. Le 1er mai est presque partout une fête populaire : les Russes vont se promener aux bois, et, comme la colombe de l’arche, en rapportent en triomphe de jeunes pousses d’arbre en témoignage du retour de la verdure et de la disparition de l’hiver. La sensation du soleil ou des chaudes brises du printemps est déjà toute seule pleine de délices. Le corps, débarrassé de ses lourds vêtemens,