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grande action sur le tempérament comme sur le caractère de ses habitans. Pour le voyageur, dans les monotones trajets en chemin de fer ou en bateau, comme dans les rapides courses en traîneaux ou en tanantass durant les longues nuits d’hiver ou les longues journées d’été, c’est un besoin de comparer l’un à l’autre le climat et l’homme, de trouver le lien qui les unit. Il y a entre eux assez de ressemblances accusées pour qu’on n’ait point à craindre de se perdre dans une vaine recherche. S’il est difficile de remonter sûrement jusqu’à la source cachée des passions et des penchans, il devient promptement sensible à l’observateur que chez le Russe il faut attribuer à la nature bon nombre de qualités ou de défauts, rejetés ordinairement sur la race, sur l’histoire ou sur la religion.


I

Pour déterminer le rôle de la nature dans la formation du caractère russe, il faut remonter dans la moitié septentrionale de la Russie actuelle, dans la zone qui a servi de berceau au Grand-Russien et formé le noyau de l’ancienne Moscovie. Grâce aux incursions tatares, cette région est tout entière au-dessus du 54e degré de latitude. Là outre Novgorod et Pskof, qui à tous égards composent à l’ouest un groupe à part, se rencontrent Tver, Iaroslaf, Kostroma, Vladimir, Souzdal, Riazan, Toula et toutes les anciennes capitales des kniazes russes, décrivant comme un cercle autour de Moscou. C’est là une contrée essentiellement continentale, plus froide que Pétersbourg et à climat plus extrême, où la température moyenne de l’hiver est de 9 à 10 degrés centigrades au-dessous de zéro, celle du mois le plus froid de 11 à 12, c’est-à-dire de 13 à 14 degrés plus basse que celle de Paris. C’est, en dehors de la Scandinavie et de l’Ecosse, l’une et l’autre réchauffées par deux mers, la seule région des deux hémisphères ayant une population sédentaire et agricole dans ce voisinage du cercle polaire. À cette distance de la mer et de l’équateur, elle n’est habitable que grâce à son peu d’élévation.

L’action d’un tel climat sur la vie et le corps de l’homme doit être énorme, nous le sentons ; mais nous avons peine à le démontrer. Depuis un siècle ou deux, on a en Europe beaucoup discouru, beaucoup écrit sur les effets politiques du climat : il n’y a point de sujets qui reviennent aussi souvent et sur lesquels nous sachions moins ; l’habitude d’en parler nous fait illusion sur notre ignorance. Dans l’état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons même déterminer scientifiquement les effets directs de la nature extérieure sur l’organisme et le tempérament. Montesquieu a le premier essayé de donner une théorie politique des climats ; mais cette tentative, appuyée sur des récits de voyages infidèles et sur des