Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certainement un bienfait pour les plaideurs, mais cette création portait atteinte aux privilèges du parlement, qui ne pardonna jamais aux présidiaux d’avoir empiété sur ses droits.

Ainsi se constitua la justice royale aux derniers temps de la monarchie, nous entendons la justice ordinaire ; la justice administrative avait subi une autre évolution, et entre les deux justices allait s’installer l’administration proprement dite avec ses procédés plus arbitraires, mais aussi des allures plus vives.


II

Les offices de judicature et de finances, malgré les tentatives faites pour leur rendre un caractère viager, étant devenus presque tous vénaux, le gouvernement se trouva entouré d’une multitude d’agens inamovibles et indépendans dont il n’avait pas la nomination, et qui ne pouvaient être destitués que par suite d’une condamnation judiciaire. Ces agens, au lieu de lui apporter leur concours, de servir ses desseins, n’étaient souvent qu’un obstacle à son action ; ils entravaient son initiative, et les formes juridiques de l’administration leur fournissaient souvent le moyen de paralyser les volontés du pouvoir exécutif. Le gouvernement avait sans doute la ressource d’abolir les charges en remboursant le prix aux titulaires, mais il fallait encore pour cela qu’elles dépendissent du domaine, auquel appartenait toujours la faculté de rachat perpétuel, ou que cette faculté eût été réservée dans l’édit de création. De plus ces remboursemens étaient onéreux pour l’état, et le roi, à court d’argent, ne les avait pas plus tôt prescrits pour certaines charges qu’il en créait de nouvelles, mises également en vente. Quand Richelieu voulut donner à l’administration une action plus efficace, la vénalité fut pour lui une entrave. Louis XIV, en instituant de nouveaux offices, relevait d’une main les barrières qu’il avait abaissées de l’autre. Si sa volonté n’avait pas été si forte et si persévérante, il n’aurait pu imprimer à l’administration l’unité et la célérité. Le grand ministre et le grand roi changèrent plus les façons de procéder que les formes mêmes du régime ; ils laissèrent à la France l’enveloppe de son système administratif et judiciaire, et introduisirent quelques fonctions dont ils firent le pivot de leur gouvernement. Le point d’appui fut déplacé ; le centre de gravité, qui avait été le pouvoir judiciaire, fut alors le pouvoir administratif. Richelieu et Louis XIV achevèrent de ruiner ce qui subsistait de l’autorité et de l’indépendance des grands-officiers de la couronne. A l’esprit du légiste, qui avait si longtemps présidé aux affaires, succéda l’esprit de l’administrateur, qui est d’un tout autre caractère. Le premier, de son essence plus tutélaire que créateur,