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constituèrent en 1686 par leur réunion ce qu’on appela la ferme générale. On croyait réaliser ainsi une économie sur les frais de régie. Le roi était surtout soucieux d’avoir de l’argent à des époques fixes et de s’assurer des rentrées ; mais ces fermiers, qui soumissionnaient les recettes à faire et les recouvremens à opérer sous le nom d’un commis dont ils étaient cautions, réalisaient des bénéfices énormes et s’appropriaient de la sorte une partie de l’argent dont aurait dû se grossir le trésor. Avançant de l’argent au roi et aux courtisans, consentant à laisser prélever à des hommes en crédit, à des favorites, une part sur leurs bénéfices, sous le nom de croupes, les fermiers-généraux exercèrent en France sous Louis XV une influence considérable. On ne les aimait pas, mais on ne savait pas s’en passer, et, quand les grandes colères que soulevaient de temps à autre leurs spéculations usuraires s’étaient amorties, on en revenait toujours à solliciter leurs services. Longtemps il leur fut loisible de sous-affermer les diverses parties de l’impôt qu’ils s’étaient chargés de percevoir, et, en passant par plusieurs mains qui prélevaient chacune ses profits, les ressources du trésor allaient s’atténuant encore, le poids supporté par les contribuables allait s’alourdissant. Lors même que les bénéfices des fermiers eussent été moins exorbitans, les économies que l’on se proposait en se déchargeant sur eux de la perception eussent été rendues impossibles, car on maintenait les innombrables offices institués dans le passé sous le prétexte d’assurer le contrôle. Dépouillés de leurs attributions ou réduits à un rôle insignifiant, les titulaires étaient les dupes de ceux qu’ils avaient mission d’inspecter, dont ils devaient vérifier les opérations. Ne tirant plus de leurs offices que de maigres émolumens, ils se voyaient souvent réduits à se faire les receveurs ou les commis des traitans, à être leurs agens quand ils n’en étaient pas les jouets, et ils cumulaient ainsi les fonctions de contrôlé et de contrôleur. Cependant l’intérêt personnel poussa les fermiers-généraux à chercher dans le système de comptabilité et de recouvremens des simplifications qui n’auraient pu naître au sein des juridictions fiscales, et dont profita plus tard l’administration française.

Le gouvernement se dessaisit conséquemment presque partout de la faculté de nommer et de révoquer ses agens. La vénalité ayant tout envahi, la justice courait grand risque de tomber entre les mains d’hommes incapables ou malhonnêtes. En effet, dès la fin du XVe siècle, il y eut des scandales qui soulevèrent les plaintes des états-généraux de Tours et d’Orléans. Le gouvernement comprit qu’on ne pouvait laisser les titulaires des offices les vendre au premier venu. L’ordonnance de Moulins de 1566, due à L’Hospital, imposa aux acquéreurs d’offices des conditions déterminées de capacité, des preuves à faire de bonne vie et mœurs.