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par l’élimination des types contraires, et qui, transmis dans le tissu nerveux d’un peuple, tendra de plus en plus à devenir le caractère, national, vous aurez les idées maîtresses de ce livre inégal, tantôt trop court et tantôt diffus, dont les parties s’enchaînent mal, comme des chapitres écrits à part les uns des autres, mais où éclatent par intervalles des observations singulièrement ingénieuses et profondes qui éclairent d’un nouveau jour le côté physiologique de la question.


IV

Dans cette revue des théories du progrès, nous devons faire une place à part à celle que M. Herbert Spencer a produite récemment au milieu d’une théorie plus vaste, qui n’est rien moins que l’esquisse d’une histoire de l’univers. C’est avec ce penseur éminent, que l’on a pu appeler avec justesse « le dernier des métaphysiciens anglais[1], » que l’idée d’évolution a pris sa plus grande extension et touché les dernières bornes de son empire possible. Le traducteur français des Premiers principes nous montre, dans une excellente introduction, comment M. Spencer fut amené à cette dernière synthèse. Dans la Statique sociale, publiée en 1850, M. Spencer s’était posé comme problème de rechercher la loi naturelle dont le progrès de l’humanité est la manifestation. Plein de confiance alors dans la perfectibilité indéfinie de l’espèce, l’étendant par ses vastes espérances jusqu’au rêve de la perfection, jusqu’à la suppression du mal sur la terre, il avait cru trouver la condition de ce progrès toujours croissant dans cette tendance de la vie qu’il appela la tendance à l’individuation. Plus tard, le mot individuation lui parut être trop étroit pour l’idée du développement des choses telle qu’il commençait à la concevoir. Il craignit qu’à la suite de ce mot, qui exprime la notion d’un être considéré en lui-même, l’idée de finalité ne s’introduisît dans l’esprit humain et n’y ramenât tout un ordre de spéculations métaphysiques et religieuses qu’il voulait à tout jamais éliminer de la science. Il substitua à la première loi naturelle qu’il avait trouvée une autre plus large et plus compréhensive ; mais il s’aperçut alors que le mot même de progrès ne convenait plus à la généralisation de sa pensée. Il y renonça tout à fait dans les Premiers principes pour adopter le mot évolution, plus propre à exprimer à la fois l’universalité de son objet et la nature toute scientifique de sa théorie. C’est alors que s’accomplit

  1. Les études philosophiques dans l’Angleterre contemporaine, par M. Auguste Laugel, dans la Revue du 15 février 1864.