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LA BRANCHE DE LILAS.

journée rapide est moins courte que la mémoire d’une femme… Je ne pourrais dire comment je jouai ce soir-là ; je ne savais ce que je faisais. Tout autour de moi flottait l’odeur des lilas, et dans la foule houleuse je ne cherchais qu’un seul visage. Il n’y était pas.

Quand le spectacle fut terminé au milieu des applaudissemens, je me débarrassai de mes camarades et des braves gens qui nous faisaient accueil pour retourner à cette petite rue escarpée qu’embaumaient les lilas. Ceux-ci avaient perdu leur couleur sous les rayons de la pleine lune, et leurs arômes chargeaient lourdement la brise.

Je me promenai de long en large toute-la nuit. Au lever du soleil, je demandai à un tailleur de pierre qui se rendait à sa besogne quelles gens demeuraient derrière ces murs en ruines. — Personne, me répondit-il ; ce sont les murs d’un ancien jardin de couvent où maintenant tout le monde se promène à son gré. — Je ne lui adressai pas d’autre question. Un étrange silence, une timidité nouvelle, pesaient sur moi.

Rentré dans la misérable petite auberge où la troupe avait cherché gîte, je regagnai ma mansarde pour contempler et baiser à mon aise la branche de lilas. Il me semblait que ma destinée y fût attachée en quelque sorte. Je l’avais mise dans l’eau et à l’ombre, mais déjà elle était flétrie, et le petit papillon jaune était mort. Tout le jour, je m’efforçai de découvrir la femme qui l’avait laissé tomber avec de si dures paroles ; je n’y parvins pas. C’était grande fête, les rues étaient pleines de monde, ruisselantes de bannières, de banderoles, d’enfans de chœur en robes blanches, de petits chérubins une couronne printanière au front ; parmi tous ces visages, je ne reconnus pas le visage que je cherchais. Elle devait être là cependant, mais pour une raison ou pour une autre elle m’échappait. La nuit vint, et je remontai sur les planches, toujours poursuivi par son image,

— Que cherches-tu donc, Piccinino ? me demandaient mes camarades.

Je me mis à rire en répondant : — Une branche de lilas. — Ils crurent à une plaisanterie, car partout dans la ville les lilas blancs et violets servaient en ce moment d’abri aux petits oiseaux.

Je me rappelle bien la pièce que nous jouâmes ce soir-là. J’étais chargé du rôle principal, le rôle d’un savetier de village qui, vieux et infirme, aime une belle et malicieuse fille, passion ridicule et dédaignée qui le met en butte aux railleries de toute la jeunesse du pays. Ce rôle était fort comique, il me convenait à merveille, et j’avais l’habitude de m’en acquitter au milieu des fous rires du